Nisennenmondai › N

« Nisennenmondai » : c'est le vocable japonais, semble-t-il, qui désignait le « bug de l'an 2000 », juste avant le changement de millénaire – l'équivalent du Y2K anglophone. L'expression de cette grand-peur : que tout le réseau mondial, les communications, les machines, se mettent ensemble, sur les douze coups de minuit, à déconner, dysfonctionner, cessent même de fonctionner d'un coup d'un seul.

Ça prenait tout son sens, ce nom, dans la musique que jouaient le trio à ses débuts – formé justement en 1999, juste avant la bascule... Rock free, bordélique, gros nawak jubilant proche des premiers Boredoms ou d'Afrirampo, jams pour fracas pulsés, échafaudages de débris, scories, gravats sonores. Ça garde tout son sens ici, presque quinze ans plus tard – mais tout autrement, en une quasi-inversion.

Car ici, le bug, c'est le programme – c'est la machine qui s'empare du flux. Nisennenmondai, en 2013, jouent de la techno – minimale, géométrique, rythmes fixes et textures, nappes, qui s'écoulent et se forment entre ces architectures, sans jamais déborder. Car l'espace aussi, est programmé. Musique électronique, post-industrielle – qui a gardé de ça l'exactitude des chaînes de montage. Sauf que les musiciennes font tourner ça comme avant, côté moyen, comme sur leurs disques chaotiques plus haut cités : avec des instruments acoustiques/électriques. Batterie/guitare/basse. Quelques pédales d'effets, une réverbe vaste et nette, tout au plus, modulant, modulant le son... Mais pas de synthés, pas de boîte à rythme – ce sont ces trois Humaines qui jouent tout en temps réel.

C'est saisissant, cette précision – ça m'avait frappé de les voir en concert, jouer ça tellement en place, immobiles autant que possible toutes les trois, démarrant, enchaînant tout le set d'une traite, stoppant net puis partant. Un événement délimité – qui laisse une impression durable. C'est indéniable, « à l'usage », même assez rapidement, comme on entend que non, ce ne sont pas des machines. C'est qu'elles ne les imitent pas – ne cherchent pas à les concurrencer. Elles ont appris leur langage. Elles l'ont aimé ? Elle l'ont trouvé, peut-être, dans des élans d'avant – dans les traces, les molécules qui restaient, dans leur musique première, d'un krautrock tout « motörik », pur entraînement de forces, vecteurs, trajectoires, cycle – pur espace généré par la perspective, à l'économie, à l'inventivité, aussi. Chaque accent, déplacement, prend toute sa force – propulsive, expressive, message physique/chimique. Message sans traduction – le son se dit lui-même et décode tout, autour, investi ce qu'il touche, ce qui le jouxte et l'observe, le reçoit.

C'est le début d'une phase, pour le groupe – tout ce qui suit, dans leur discographie, explore ce territoire nouveau, lui applique des traitements, variantes – vitesses, nuances de production, propositions à transformer, titres mêmes qui déclineront celui du ci-présent disque. Ça n'en fait pas – ni de ce N, ni de ses suites – un simple et lassant exercice. Ça n'épuise pas la chose – elles ont cessé avant, en fait, je crois, ont arrêté avant de passer du mauvais côté des parages du vide. Ça n'invalide pas, non-plus, ce qui avait précédé. Il n'y a pas à choisir, entre leurs hypothèses.