Jonzun Crew ! Une époque, une esthétique – le futurisme quarante ans avant nous, l'exploration spatiale en perruques pompadour... Un trip spécial – une époque, une scène. L'électro-funk, l'électro-hip-hop, l'électro-boogie – une sorte de préhistoire de la techno, du funk full-synthétique. Les voix passées au vocoder ou dans la talk-box, les synthés S.F. épiques et scintillants, les astres en boules à facettes.

C'est construit, ceci-dit, cette affaire. Moins systématique que la musique d'autres stars du genre, pourtant moins oubliées entre temps – Roger Troutman et Zapp, par exemple, il est vrai « réhabilités » entre temps par le G-Funk, Tupac et la clique Dre. C'est plus fouillé, au vrai, Jonzun Crew – pas seulement rythmique, pas seulement « bouncy ». Les nappes, les fameux claviers, développent des thèmes, des ambiances. Parfois ça flotte. Parfois, ça fait tourner des gimmicks idiots mais entêtants – Space Cowboy et sa mélodie de synthé qui fait penser au Genius of Love du Tom-Tom Club ou cet autre, sur le même morceau, à la fin, qui évoque... le thème de The Good, The Bad and the Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand) ! Souvent, ça annonce – j'insiste – la techno à venir, que produiront les grandes villes du nord étasunien – Detroit, Chicago (Jonzun Crew étaient de Boston, au fait, même si les frères Johnson, fondateurs du groupe, venaient, eux, de Floride). La musique tend à cette même efficacité mécanique – à ce paradoxe d'un groove dont voudrait expurger, le plus possible, le facteur d'erreur humaine. La technologie n'y est pas encore tout a fait, bien sûr – 1983, pas mal de choses devaient se faire plus ou moins « à la main », toujours. L'imperfection demeure – et ajoute une couleur, une nuance émotionnelle (et sensuelle) qu'on ne s'attendrait pas forcément à trouver, en lisant le millésime, dans cette musique proto-mécanique. Une sorte de mélancolie sourd parfois – soulignée aussi par ces mélodies parfois mineures, ces textures de claviers aériennes désormais datées, d'une beauté comme pixelisée – qui fait contraste, aussi, avec l'aspect très « festif fluo costumé », l’apparat déployé.

C'est encore beau, oui – et encore pertinent – cette musique. Toujours brillant de joie plastique et luisant de spleen atmosphérique. Ça se reçoit encore brut – la sophistication économe (des compositions, des arrangements) toujours perceptible, sensible. Ça ne demande pas à être « actualisé », mis à jour (à ce titre, le dernier remix de Jet Pack qui clôt la réédition CD de 2001, par Grooverider, breakbeat, jungle, fait un peu tache – pas mal foutu mais exogène à un disque qui n'avait pas besoin qu'on le... « Sauve », par cet apport d'une autre modernité... D'un autre futurisme, tiens, on y revient).

C'est un bout consultable d'un passé qui regardait vers nous – et qui voyait autre chose que ce qui est advenu. Ça ne veut pas dire qu'ils avaient tort. Ça ne signifie pas que ce ne serait qu'une pièce de plus au musée. Ça n'implique pas que le moteur soit mort – et que le vaisseau nous puisse plus nous emporter.