Toru Takemitsu (1930-1996) › Film Music by Toru Takemitsu 1 - From the Original Soundtrack of Masaki Kobayashi's Films (Part 1)

Je ne sais pas si j’aime le cinéma mais j’aime Kobayashi Masaki. Des films secs mais généreux, « profonds mais compressés » disent les cinéphiles, qui n’ont pas la majesté kurosawesque mais un charme du détail, souvent portés par Nakadai Tatsuya contre lequel j’échangerais cent Alain Delon. Takemitsu Toru, déjà chroniqué en ces pages pour son œuvre « classique », fut aussi un compositeur prolifique de musique de film. Pour manger, au départ, puis pour l’amour de l’art, dont celui de Kobayashi. Ce disque regroupe des compositions de trois films, Kwaidan, Rébellion et Seppuku. Fantômes, pouvoir, trahison, amour ; quel que soit le thème on est à peu près sûr que cela finira mal et qu’il y aura des contrastes, des silences, du fracas. Pour illustrer ces films hors-normes, en particulier Kwaidan, Takemitsu fait flèche de tout bois : « un simple son peut être musique ». Craquements et claquements accompagnent des rares cordes très occidentales mais surtout des instruments traditionnels japonais tel que le biwa et le shakuhachi, omniprésents sur Rebellion et sa scène finale qui te déchire le foie avec trois notes et les deux yeux de Mifune Toshirō plutôt qu’avec de grosses cordes qui tirent par la manche. Pour d’autres films de Kobayashi, présents sur l’édition CD de cet album, Takemitsu a produit des pièces symphoniques et jazz plus ordinaires et l’album perd alors en intérêt et en cohérence, tandis qu’écouter à la suite Kwaidan, Rébellion et Seppuku, c’est se nourrir d’une petite heure de ce que l’art peut produire de mieux dans la symbiose son/image. La musique n’illustre pas l’image et elle ne s’adresse pas directement au spectateur, elle donne vie à l’image, aux fantômes, aux regards, aux pensées, libère les espaces plus qu’elle ne les comble et toutes deux respirent. Autant que les réalisateurs eux-mêmes, Takemitsu a contribué à donner au cinéma japonais de la seconde moitié du siècle, sa propre épaisseur malgré les corsets d’une esthétique dictée par l’histoire, d’une propagande à l’autre. Il en fallait du courage pour développer un langage propre après des décennies de nationalisme expansionniste, des années de guerre, d’occupation et de traumatisme nucléaire. Sans cette musique, ces films seraient juste beaux, tristes, épiques ou contemplatifs. Avec, ils sont tout.