Devendra Banhart › The Black Babies (UK)

Quand j'étais petit, j'adorais les cassettes. On enregistrait plein de trucs avec ça, n'importe quel son, et ce son devenait lointain, mais reproduisait quand même un peu la mémoire. Devendra Banhart sur cet EP coincé dans les débuts de sa carrière chez Gira, peut-être d'une notoriété croissante est aussi enregistré sur une cassette. Pas une cassette en très bon état, et pas sur un appareil en très bon état, c'est loin de maintenant, ça sature, il y a perte d'information, là on assume l'effilochage de la mémoire de ces chansons griffonnées sur un bout de carton un soir d'ennui ou d'inspiration ou les deux, le son tremblote, la voix est parfois fausse, toujours un peu pincée, un peu de l'ordre de la comptine folle et droguée, avec de la poésie à tous les étages, parfois c'est parlé, parfois c'est répétitif, murmuré, soufflé, l'air manque un peu et les A font aaaaaeaaaaaa... à la fin. Des petits objets, des bruits ambiants, des boîtes à musique, des petites alarmes, de la poussière sur les mots, des fracas de loin de près, on sent aussi de la menace dans cet album rêche comme un John Fahey plus simple, comme un Gary Higgins bien plus déphasé, comme ce qu'a fait Gira tout seul mais en lo-fi, le souffle qui pète sur le micro, enfin c'est de la musique parasite, parasitée, comme lorsqu'on juge aujourd'hui et hier les vagabonds, des hôtes de teignes semant leurs puces chez nous les gens propres qui font attention à tout ce qu'il faut faire, comme il faut. Un album court, un peu compilation pour l'export par Cargo, avec des bouts de ses premiers albums dedans, étrange, pas complètement de l'art brut, pas complètement de l'art "d'artiste" formé à "l'art", le souvenir aussi maintenant lointain de cet artiste qui jouera ensuite devant des milliers de personnes partout, se transformant un peu en icône de mode mystico-baba pleine de tissus brodés d'étoiles, de lunes et de crânes saignant des orbites.