Wire › Red Barked Tree

J'ai aligné tant de bouteilles. En soirée comme en solo. Au sol puis sur mes meubles. Au sommet des étagères, comme des rappels du problème. Horrible, j'ai mis des années pour en jeter certaines. Quand je vois cette pochette avec des bouteilles encore en usine pas étiquetées, mais déjà cadavres au fond, je pense à toutes celles que j'ai alignées. Et donc, celles que j'ai bues. Je suis donc alcoolique. Cela doit faire dix ans déjà. Le voile est levé, comme sur cette énième pochette de maniaque. Merci, Wire. Ton côté neutre qui jadis me bloquais toute érection de chronique, me permet de plaquer tous mes mots, toutes mes angoisses. Je bois, je me noie. Je me noie en toi, Wire. Je me noie avec toi - car parfois quand j'ai bu, j'écoute Wire. Pas de Tom Waits, pas de Jesus Lizard. Wire. L'absence de pathos ou de romantisme dans leur musique, m'aide à y voir clair dans cette vie. En dérivant au son de Wire adulte, je trie. Je tranche. Comme un adulte. Comme Wire en 2010, qui n'ont plus l'âge pour ces conneries. Simplifier les choses, mais au fond ont-elles jamais été compliquées ? Dès Pink Flag n'importe quel teubé peut prendre son pied sur Wire, seul l'intellectuel se prendra le chou sur leur musique. Elle est ici dans son plus simple appareil - et synthétique, jusque dans ses rugosités organiques. Il y a aussi quelques-uns de leurs rocks les plus raides et brutaux ici : "Two Minutes", et la féroce "Moreover". Si jamais. Un curieux album, encore, tissé d'à-plats et de reliefs abrupts. "Down to This" la rampante, sa résignation horrible... La superbe et bien nommée "Smash" (et sa mélodie de guitare lumineuse sous la grosse couche punk-shoegaze)... Toujours avec cette fausse neutralité de ton qui les caractérise - paradoxalement. Red Barked Tree serait-il l'album le plus complet-"carte de visite" de Wire sur cette troisième et dernière période, la plus prolifique de leur carrière ? Dès cette "Please Take (your knife out of my back)" à l'humour angliche à froid mordant tout doux, Wire semble ici synthétiser un peu toutes ses périodes ou presque, mais cela en toute simplicité : comme du Send en version adoucie par leur période A Bell is a Cup, du Object 47 en somme, avec des petites touches nineties en fond... Un album simple mais dense où la musique de Wire respire... et est quand même bien compactée. Ici, on se sent vraiment souvent comme de retour dans le début des années 80, mais sans que ça sonne jamais revival-cliché. C'est toujours frais. Comme les guitares aussi familières que magnétiques et la mélancolie diffuse mais coriace exprimée par cette très belle "Adapt", avec un feeling presque curesque. Il y a déjà ici ce genre d'ambiance un peu désolée et de tristesse tiède-grise qu'on aura en grand sur leur album sans titre de 2015... Pas encore de grosse "Harpooned" à se manger en fin (et sans fin), ici, juste une petite "Red Barked Trees" aux relents indie-mimi, toujours avec cette voix comme filtrée à travers une membrane synthétique, bien en avant et pourtant si diaphane, laissant passer la beauté brute des cordes de Colin Newman et Graham Lewis, malgré l'absence du grand Bruce Gilbert... Il n'y a rien de bouleversant ici, encore... mais tout est déjà là, en fait. Wire est là, en creux, en coin, opé sur le bitume, groupe post-punk avant-gardiste de retour alors que tout le monde écoute Franz Ferdinand en buvant des spritz. Wire is here ! Encore, toujours. Et il faut remplir l'espace, comme le temps... et puis ces bouteilles, quand même, y a rien de plus triste qu'une bouteille vide. On trouvera de quoi remplir tout ça oui. On verra ce qu'on fera après. "Adapt" c'est tout. ADAPT, OK ?