Nudeswirl › Nudeswirl

Le Grungeland a ses oubliés. Les New-Jerséyens Nudeswirl en font partie. Si leur réputation se limite aux discussions d'une poignée de nostalgiques des années 90, si leur premier jet en unique LP est devenu introuvable, il n'est pas trop tard pour faire un peu plus connaître leur second album sans titre. Car sous ses airs plutôt anodins, c'est ce qu'on appelle dans notre jargon mélomane un peu grotesque un authentique "grower". Comme sa mystérieuse et belle pochette : il ne nous marque pas au fer rouge, mais quelque chose nous intrigue, nous retient. On le liera, selon l'humeur, à différents groupes de l'époque, américains ou anglais (comme me le suggère cette sensation de réponse yankee à la britpop sur le splendide tube connu par trois pélos "Sooner or Later"). On pourra penser aux Screaming Trees, Jane's Addiction, Mudhoney, King's X... On aura sur le bout de la langue plusieurs noms, en découvrant le chant si familier de Shane M. Green, sa tendre nasillarderie entre joie et tristesse, d'une distance presque onirique. Mais on gardera à l'esprit que ce Nudeswirl a ses propres couleurs, sa propre ambiance, un peu comme sa pochette, qui fait comme un clin d'œil involontaire au tube contemporain à l'album "Sous les jupes des filles", tout en ayant l'aspect morbide pisseux du second Alice in Chains... Alain Souchon / Alice in Chains ? Oui, l'allitération était trop facile. Et pourtant ce skeud est dans ces eaux et ces teintes, d'un début de milieu des nineties en jaune cidreux, avec ses guitares en rouille solaire, et sa douce poisse, n'allant pas plus dans le noir qu'à travers quelques blues pisseux. Le son de Nudeswirl dégouline au naturel, avec son grunge un peu hard un peu halte, un peu noisy un peu psyché, entre le fer et les fleurs, parsemant de quelques carcasses automobiles déchiquetées ses champs inondés de lumière. En fait, il est baigné de lumière un peu tout le temps, cet album, même quand c'est le morose ou la mort qu'il évoque, c'est à la façon d'un Van Gogh grunge en quelque sorte : la maladie existentielle inhérente au genre y sent la paille chaude. On y sent sous ce Soleil, un spleen craquelé, fermenté... Chatouillé par ce chant aigre-doux d'un lointain pote presque oublié qui revient zoner dans les parages, par les enchevêtrements subtilement mystiques de ces guitares, qui rappellent parfois que Tool et Radiohead, rien que ça, compteraient ces soit-disant second couteaux dans leur influences revendiquées - traficotage de CV ou pas, il faut dire qu'un Pablo Honey n'est pas si loin par moments, quand la saturation se fait miel et confiture... Mais ici on va un peu plus loin que la jam : dans un vrai album culte, qui sous sa poisse discrète sent l'Amérique des losers flambeurs et des laissés-pour-compte ayant plus de gueule que la crème du Billboard, celle qui boulote rapido son casse-dalle entre deux moissons pour griller plus vite son clope, celle qui nerveusement cherche ses clés partout sauf dans sa poche, celle qui est déjà partie en fumée, qui en cette fin d'été 1993 est déjà oubliée, et qui pourtant va faire son rock, sec et ocre et qui sent le virevoltant... Il y a quelque part, là-bas entre la station-service du père Joey et la cabane du vieil oncle Bobby plantées dans un coin de notre caboche se dessinant les States, là-bas au fin fond de cette mémoire saturée de noms de groupes pas tous utiles, un Nudeswirl qui joue du Nudeswirl. Et si on y croit pas vraiment, les sublimes "Disappear" et "Now Nothing" se chargeront de nous y emmener, dans cet état proche de l'Ohio.