Helms Alee › Night Terror

Parfois il ne faut rien de plus pour vous attraper, qu'un son de guitare bien vif et vivifiant, à la fois rêche et scintillant. Craché sur une basse et une batterie vigoureuses... encore mieux. Et si trois voix, deux féminines une masculine, s'associent à ces étincelles ? Nous voici je le crains en présence d'une singulière entité, semble-t-il de Seattle. Une créature brute aux échos aussi familiers qu'inhabituels. Brillant comme en queue de comète, pour une génération intransigeante nourrie au son Albini et compagnie... Trop peut-être avaient alors oublié en cette fin des années 2000, décennie d'émergence de tant de groupes mégalos et insipides n'ayant plus rien à voir avec Fugazi ou Neurosis, ce qu'était le post-hardcore. Son étrangeté originelle, instinctive. Sa sensualité, aux arêtes saillantes. Sa façon d'être si "dans-ta-face", et pourtant comme inatteignable. La sensation qu'il peut donner, d'être au cœur d'une zone de déflagration et d'y nager la brasse coulée. Au-delà des paradoxes charriés par ces étonnants Helms Alee, leurs instruments, ici, sont physiques. Ils vous traversent. Jusqu'à faire vibrer l'âme, avachie dans sa gangue. Un effet que leur premier album provoque, à la façon des meilleurs disques des années 90 alternatives et extrêmes. Un peu à l'image de cette pochette et de ce titre aussi sobres qu'inquiétants : nets, mais troubles. Respectueux de notre imagination, et énigmatiques sans trop en faire, comme ce blase chipé aux skippers. La teinte du ciel brumeux étant parfaitement dans le ton, l'humeur. Tissé de particules lourdes et fines, ce Night Terror est à la fois simple, et dense dans sa façon de concentrer les évocations de tout un tas de groupes à forte personnalité (Fugazi et Neurosis donc mais tout autant Sonic Youth, Pixies, ou Kylesa, entre autres) sans jamais faire autre chose que sa propre sauce... Je possède ce disque depuis une quinzaine d'années, et reste toujours un peu baba devant son évidence et son originalité combinées, mon incapacité à le décrire avec satisfaction n'étant au final qu'un argument de plus pour enjoindre mon prochain à l'écouter. Une sorte d'abstraction poétique, à la mixité exquise et à la violence gracieuse, où le tellurique peut virer au céleste de façon très fluide ("Rogue's Yarn"). Une texture et un caractère captivants, qui vous cueillent dès cette intro instru, charriant tout un pan d'Amérique versant noise rock, presque une image d'Épinal, mais où l'angoisse s'immisce, déjà... Montée en pression nette avec cette "A New Roll" quelque part entre In On The Kill Taker et Souls at Zero... puis tout suit dans des morceaux à la sauvagerie magique, à l'onirisme subtil, portés par cette drôle de bête à trois têtes. Inspiration sans faille, même quand le groupe semble ne plus savoir où aller (les gémissements électriques d'une "Betwixt" et son explosion blafarde). Qu'il soit tenté d'aller vers une pop personnelle ("Big Spider") ou de faire du stoner sans en faire, ou alors en hiver ("A Weirding Away" et ses relents Big Business, ou sur la fantastique "Paraphrase" avec son quelque chose d'un riot grrrl apocalyptique) : Helms Alee emporte, fascine. Au-delà des références. Deux nanas à la section rythmique et un gars à la gratte qui font du fin boucan avec leurs instruments, et chantent tous les trois, sans avoir peur d'aller jusqu'au choral... et je dois bien dire que ces voix diaphanes, mais hantées, dans la rage comme dans le hagard ("Grandfather Claws", brrr), ne sont pas étrangères au magnétisme unique de Night Terror, jusque dans son final au piano glacé. Album culte, aussi bref qu'intense, qui sonnera frais pour toujours. La tension, l'énergie, et tout autant la beauté, s'y exprimant dans un geste d'une rare pureté.