Clifford Brown / Max Roach › Study in Brown

Quand on en a assez d’écouter un Clifford Brown, il suffit d’en mettre un deuxième. En voiture Josette, c’est reparti pour un tour dans les années 50 et le frisquet mois de février new-yorkais, à se réchauffer en soufflant dans des tubes en cuivre. Terrain connu : mélodies de grande classe, virtuosité dans tous les compartiments du jeu et toujours cette ambiance cinématographique qui donne envie de gambader dans la rue en fermant les yeux, à se rêver en guerrier apache sur les trente premières secondes de Cherokee dont le cheval deviendrait de bois sur les trente suivantes, à suivre sa lente course dans le carrousel de Mary Poppins dans une très libre reprise du thème de Ray Noble. Mais tu connais la suite, le cheval s’envole et Clifford l’accompagne d’un des meilleurs solos de trompette jamais enregistré, selon les jazzologues avertis. Mais sois tranquille, nul besoin d’eux pour être saisi par la virtuosité de Clifford qui déroule les notes à 88 miles à l’heure sans jamais perdre sa route. Au bout de même pas trois minutes, on a traversé le temps, l’espace, crevé la toile et trouvé le coffre au pied de l’arc-en-ciel. Les chorus s’enchaînent, toujours à 1,5 fois la vitesse de la lumière ; Land, Powell, Roach et Morrow en toile de fond achèvent de faire de ces quelques minutes de jazz un concentré de chef d’œuvre. Extatique mise en bouche, on enchaîne avec un morceau bien plus tranquille mais pas moins charmant, une composition de Richie Powell savamment placée pour repartir sur du hard bop énervé. Swingin’ est le morceau pour guincher une fois que l’alcool s’est bien incrusté dans tous les vaisseaux mais c’est là que l’album prend une tournure pour rappeler que le jazz est la musique la plus classe du monde. C’est le moment de s’assoir et de reprendre son souffle, on desserre la cravate, on allonge les jambes, on reprend un petit verre avec beaucoup de glace. Josette s’évente l’air absent en écoutant chaque solo lui panser les synapses un par un. George’s Dilemma prolonge la convalescence sans baisser en température avec ce petit fond d’air latino. Peut-être le moment d’aller serrer quelques paluches aux tables d’à-côté, en faisant mine de ne pas voir ce faquin de Bobby avec ses grandes oreilles et son stupide cousin de Chicago. Cela tombe bien, Clifford enchaîne sur le blues Sandu, standard multi-repris dans tous les instruments possibles, qui précède une autre composition orientée vers un blues rythmé, pas si simple qu’il n’en a l’air, et qui achève de montrer la symbiose d’un groupe riche de l’héritage swing & blues qu'il porte tranquillement au travers de l’ère bop. On se termine d’ailleurs sur des compositions d’avant-et-pendant-guerre avec rien de moins que la signature tune de l’orchestre d’Ellington. Ce fut une belle soirée et encore soixante-dix ans après, Clifford Brown ne perd jamais.