Scott Kelly / Steve Von Till / Wino › Songs of Townes Van Zandt

Quand des gros loulous aux gosiers bien rocailleux comme Steve Von Till et Scott Kelly reprennent Townes Van Zandt, on peut légitimement imaginer le résultat : pas du genre à égayer les matinées d'hiver. Ah, y a Wino aussi ? Why not. Hello, Wino. Le mec avec plein de cheveux et presque pas de front, qui fait des petits trous pour respirer un peu avec sa voix plus légère, plus euh, civile ? Il est gentil, lui, comme sa reprise un peu clocharde de "Rake", son honnête version de la terrible "Nothin'", ou son final aux beaux relents choraux. Alors que Kelly c'est déjà moins cool pour prendre le petit déj', on s'entend rompre le quignon, sans lever les yeux du bol... et que Von Till lui il fait les gros yeux, pour dire aux enfants de finir la soupe, sinon panpan cucul. Mais au-delà de ces présentations sympathiques, c'est quoi le bail, avec ce disque de reprises-hommage par deux mecs de l'apo-post-hardcore en colloc avec un doomster alcoolo ? Ben, un peu le même qu'avec tous les disques de folk : "chiant or not chiant ?" Et si je vous disais... un peu entre les deux ? Mais plutôt du côté "en fond c'est la désolation à l'américaine comme on l'aime pour siester d'un œil, trop près c'est l'appel du Weller black label". Avec des mélodies de gratte qui tombent toutes nues sous ces belles grosses voix de gros darons post-coreux, qui donnent le biberon de spleen au charbon. Les trois bonshommes sérieux se suivent comme le poivre et le sel dans leur barbe, même si c'est peut-être le gros Kelly qui s'approprie le plus les tounes de Van Zandt, avec même une étonnante aisance vu la barrique de sinistrose que c'est - écoutez-moi donc cette "St John The Gambler" qui semble toute droit sortie de Spirit Bound Flesh, ou cette "Lungs" avec son résidu d'électricité, spartiate. Le poteau Von Till en fait un peu plus des caisses sur le crépusculaire et le râle de mâle mauvais-cul : on a envie de lui tendre un verre d'eau sur "Black Crow Blues"... autant qu'on veut applaudir sur sa superbe version de "Snake Song", au grésillement mystique. La sélection a de la gueule, et même une certaine classe, on en ferait des génériques de fin, de début, de début de la fin, pour des séries pas cool. Et ceci quand même un peu beaucoup grâce aux chansons très bien écrites (ah bon vraiment ?!) par le damné originel... autant qu'à une interprétation austère à mort des deux piliers neurosiens, qui ont ce chic pour vous figer les horloges. Une forme d'authenticité artisanale, patibulaire mais jouée avec amour. Folkountry de vieux ours mal léchés. Grise, même en plein cagnard. Car les instruments contrairement aux cordes vocales, ne cherchent jamais à noircir la sauce, ils auraient même tendance à y mettre une lumière. Blafarde, la lumière, hein, l'intro - superbe - donne parfaitement le ton. Ce petit disque de folk façon Neurot dans son joli petit carton blanc est d'un naturel assez désarmant, ne sonnant pas comme un bête exercice poseur, malgré les sourcils froncés jusqu'à écraser les yeux. Trois tounes chacun, et on plie le barda. Homogénéité absolue, et pourtant chaque chanson a son petit décor de bric et de broc à elle, et l'hommage bourru est brut de simplicité, comme le p'tit père Van Zandt l'aurait sans doute aimé.