Vous êtes ici › Les groupes / artistesBJacques Brel › Jacques Brel (Ces gens-là)

Jacques Brel › Jacques Brel (Ces gens-là)

lp • 10 titres • 36:06 min

  • 1Ces gens-là
  • 2Jef
  • 3Jacky
  • 4Les Bergers
  • 5Le Tango funèbre
  • 6Fernand
  • 7Mathilde
  • 8L'Âge idiot
  • 9Grand-mère
  • 10Les Désespérés

informations

chronique

Une des réactions qui reviennent souvent au sujet de Brel, comme de Ferré : "immense talent d'accord... mais quand même, il casse vite les oreilles". C'est vrai, c'est inclus dans le lot. On s'essuie pas toujours les pieds avant de rentrer dans le cerveau, ici. Brel, c'est le chanteur qui se tient mal pour le bien de l'émotion, qui pour citer feu Murat qui n'y goûtait pas, "un peu de tenue" n'a point, Brel c'est l'artiste qui gigote, c'est la tremblote et la pantomime, le théâtral, la sueur et les larmes, les cris, c'est la passion qui en met partout. Tout cela va trop loin : et rien à foutre, les coutures ont pété depuis un moment. Et c'est pour ça que c'est beau. Qu'il était beau, notre Emmerdeur. C'est la générosité, l'entièreté, l'animalité de ce qui est très humain, et tout ce qu'on veut, du moment que c'est fébrile, enflammé. Et au-delà des paroles et en mettant de côté sa petite personne chroniqueuse : il suffirait de voir la vénération de Scott Walker, David Bowie, Marc Almond, ou Momus, pour sa musique, pour piger que c'est pas juste ça, un branloteur d'expressionnisme qui gesticule... mais on a même jamais eu besoin d'eux pour le savoir, en vrai, ici de génération en gloubiboulga : un tel album suffit pour saisir un bon bout de son envergure émotionnelle sans pareil.

Dans tout son "toumeutche" inévitable, incomparable, la subtilité et les contrastes étaient loin de lui être étrangers, au p'tit père Brel - comme à ses musiciens. J'en veux pour preuve ce trou noir de sa carrière, ce cachalot de portrait de famille qui vous avale l'âme, la monstrueuse "Ces gens-là". Son ressac sinistre, sa musique qui enfle et désenfle, crépusculaire, hantée, à vous causer dru à un Swans adulte avant l'ombre d'un pépin de son existence. Ses intonations impossibles, qui jusqu'à l'onomatopée vous flanquent de la vision brute en pleine poire mieux qu'aucune caméra. Ses tableaux successifs, tous plus cruels, mornes, passablement violents, jusqu'à l'amour impossible de ce Roméo avec sa Juliette, qui auront "une maison avec des tas d'fenêtres, avec presque pas d'murs". Toujours quelque chose qui fait froid dans le dos du cœur, et brûle des papillons dans le ventre, cette énorme chanson, terrible et qui prend son temps. Y avait du social aussi - ça venait avec. Brel n'avait peur de rien. Et s'il en faisait des caisses, comme un docker sur le port d'Amsterdam, c'était pour nous flanquer au plus profond dans sa musique. Les trémolos, les maniérismes, comme déjà dit ça venait dans la cargaison, pouvait pas faire sans. Alors même si cet artiste et ce disque peuvent moi aussi me les briser si l'heure d'écoute n'est pas la bonne, que dois-je dire, quand il exprime son talent avec pureté et simplicité, dans les moments "en creux" ? Par exemple devant la légèreté mystique des "Bergers", évoquant les petits moutons gambadant dans la verdure, avec la candeur d'une musique de Cosma ou Morricone, ou d'une chanson pastorale de Jean Ferrat... plus charmant, tu meurs. Ou quand pour finir, il s'évanouit sur ces "Désespérés", sans fanfaronner. Corps avec le thème, désolation douce... parler d'humains échoués comme ça, c'est chaud, tellement c'est beau. Et pis dans le feu entre les deux, c'est les montagnes russes au Plat Pays. Le Grand Jacques nous fond dans la tristesse parigote de la lancinante "Fernand" ("moi, si j'étais le bon dieu, je crois j'aurais des remords") aussi bien qu'il nous sublime "tiens voilà du boudin", le musette ou le ronflonflon orchestral, des petits bouts d'jâzz mais cointreau n'en faut, ou nous fait du "Jacky" avec sa "saoulographie" et son "whisky de Clermont-Ferrand"... pour mieux ailleurs nous filer la nausée d'empathie avec sa chanson pour son pote "Jef", victime du chagrin d'amour (un Séchan fera à sa façon plus sobre du pathos avec une "Manu"), une tendre merveille qui se met toute entière à la rescousse, tellement Brel ça aussi. Tellement Brel, le mec hyper-sensible avant qu'on invente ce terme à la con, qui se met dans tous ses états pour les nanas et n'en a pas honte au contraire (géniale "Mathilde"). Tragi-comique, dit-on ? C'est le manège à émotions. Y a des stands, des poivrots, du touchant, du pénible, du qui veut pas lâcher l'affaire... C'est vivant. C'est vif et vibrant, ça veut parler, secouer. C'est pas tranquille, ça bouge sans cesse. On y collerait des baffes, tout en y voyant l'Absolu. Bref : c'est du Brel.

Quand je me sens paumé, je me retrouve encore dans ce boui-boui vide de la pochette, mise en scène ouvertement artificielle comme si Brel s'était assis dans un décor de théâtre ou un magasin de meubles, voire un monde factice façon Le Prisonnier... Je me retrouve dans ce salon de café qui le laisse esseulé, comme d'autres dans la cuisine de Townes Van Zandt, à écouter jacter le Jacques, jusqu'au bout de la nuit. Résonner ses pensées tout feu tout flammes, cendres et fumée, volutes qui dansent autour de cette tête dans laquelle c'est un sacré bordel. Je danse et je pleure, seul, tout seul même quand y a plein de monde autour, bourré comme une cantine, avec des hauts-le-cœur devant l'impudeur, et je ris, jaune comme les dents, les yeux un peu, de ce gars compliqué bêtement assis, son clope, sa passion dégueulasse et grandiose, sa grâce, toute cette humanité qui ne cesse de déborder. Indigestion de vie.

Très bon
      
Publiée le lundi 17 mars 2025

dernières écoutes

Connectez-vous pour signaler que vous écoutez "Jacques Brel (Ces gens-là)" en ce moment.

tags

Connectez-vous pour ajouter un tag sur "Jacques Brel (Ces gens-là)".

notes

Note moyenne        5 votes

Connectez-vous ajouter une note sur "Jacques Brel (Ces gens-là)".

commentaires

Connectez-vous pour ajouter un commentaire sur "Jacques Brel (Ces gens-là)".

Shelleyan Envoyez un message privé àShelleyan
avatar

Intouchable effectivement et jamais too much pour moi. Empli de ce feu, de cette passion non feinte qui fait défaut à près des 3/4 de la chanson 'française'. Ce disque est une série d'uppercuts bien plaçés.

Note donnée au disque :       
allobroge Envoyez un message privé àallobroge

Brel l’intouchable, et le pionnier de la coldwave française avec quelques décennies d’avance^^

Wotzenknecht Envoyez un message privé àWotzenknecht
avatar

Jef qui fout par terre direct, quelle misère !