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Bruce Springsteen › Darkness on the Edge of Town
- 1978 • Columbia records JC 35318 • 1 LP 33 tours
cd 1 • 10 titres • 43:02 min
- 1Badlands
- 2Adam Raised a Cain
- 3Something in the Night
- 4Candy's Room
- 5Racing in the Street
- 6The Promised Land
- 7Factory
- 8Streets of Fire
- 9Prove It All Night
- 10Darkness on the Edge of Town
informations
line up
Bruce Springsteen (chant, guitare), Steve Van Zandt (guitare), Garry Tallent (basse), Clarence Clemons (saxophone, percussions), Danny Federici (orgue), Roy Bittan (piano), Max Weinberg (batterie)
chronique
- heartland
Où l'on réalise la parenté physique entre le Springsteen quasi trentenaire et le jeune Pacino époque Needle Park. Et où l'on tombe dans la difficulté de causer d'un album archi-ressassé, le genre éreinté par Rolling Stone et les Inrocks. Un disque de rock à papa calibré et efficace, avec son gros côté "je vais te parler de la vraie vie des vraies gens avec ma vraie voix de bonhomme", qui peut saouler du monde et c'est compréhensible... et qui à moi, quand je suis d'humeur pour me l'envoyer, me fait toujours un peu l'effet d'une bourrasque de fraîcheur sordide. "Fraîcheur sordide", ouais : ça dit pas trop mal ma sensation face à la sauce de ce Bruce fin seventies, de son classique pas si ordinaire, de ses possibles stéréotypes exprimés sur deux canaux. Darkness on the Edge of Town a ce parfum des matins chantants, quand en vérité il rôde surtout la nuit et que son sujet est la masse, silencieuse, qui trime, les damnations anonymes de ceux que certains appellent "petites gens".
Démago, Bruce ? Trop empathique peut-être, on sent une envie de causer de l'Amérique profonde, au-delà de ses lectures de Steinbeck. Même si c'est maladroit, ou naïf. "The working, the working, the working life" chante-t-il d'un ton si résigné sur la morose "Factory", un de ses morceaux les plus simples et touchants. Ce Bruce devenu ce Boss a roulé la sienne, et en a visiblement une dans le falzar quand il s'entend brailler de sa voix éraillée ses textes, et rugir son fidèle groupe. Mais il a surtout l'humeur au social et au spleen, et il le gueule parce que ça lui vient comme ça... comme ça lui viendra plus tard de chanter doucement, en fait. Nebraska et bien plus tard Tom Joad, ouais : ils auraient bien suffi ici pas vrai, pour archiver ce que Springsteen a de meilleur, par le versant de l'intime et du dépouillé ?... C'est du moins ce que je me suis dit, longtemps. Alors pourquoi vous causer de cet album qui roule des mécaniques, qui sonne à l'opposé avec ces accents blaireaux, son crooning au pathos bourrin, sa rutilance piano hard rock sur ses poèmes sur/pour la classe ouvrière ?
Parce qu'il y a "Guts" dans les premiers couplets de la première chanson, et "Darkness" dans le titre ? Un peu court, jeune homme... Plutôt parce que sous ces rugissements de rockeur crâneur, un peu loubard un peu intello, sous le lustre d'un E Street Band dévoué corps et âme, Darkness on the Edge of Town est un album foncièrement triste. Étincelant, et pourtant profondément gris. Oui, ces chansons sont taillées pour être bramées à l'unisson en concert de stade, pour brandir le Zippo. Mais elles sont imprégnées de mal-être, et de beauté esquintée. Évoquent des rages sourdes qui explosent en pleine nuit, comme des objets fracassés faute de mieux, des dents et des poings serrés, une marche nerveuse vers nulle part pour arrêter de gamberger au mal. Elle peint à gros gestes francs des images simples, celles de ces destins dits brisés. De ces rêves crevés, dilués dans une immensité. Renvoie à des rues qui voient errer des vies, puis se vident (ô crépusculaire "Racing in the Street"). Laissées aux fantômes.
Ce Springsteen sent le café, la clope et la couille. Sa voix est congestionnée et ses zicos sont au taquet, tel Clarence Clemons et son saxo turgescent qui soumet les guitares. Mais ce Bruce est celui qui raconte la douleur banale de vivre quand on est personne ou presque en ce monde, qu'on le sait, et qu'on crèvera ainsi. Un sentiment auquel bien sûr des millions d'oreilles s'identifieront, et puis le pognon coulera plus à flots, et des suiveurs improbables viendront aussi, tel un certain Capdevielle, rejeton hexagonal de cette zique. Mais la force de cet album n'en existe pas moins, ses allures de croûte ne diminuent pas son spleen intense. Moins cajoleur et céleste que son prédécesseur Born to Run, moins gracieux, mais plus puissant et tendu, plus dur, malgré ses accents over-the-top, plus brut en fait (Springsteen a comme pléthore pris pleine face la déferlante punk, et s'en inspire mais sans jamais la mimer) - en somme plus frontal, comme sa pochette, Darkness on the Edge of Town délivre une musique pleine d'énergie pour dire des choses pas jouasses. Que l'aspect enjoué voire triomphant de la passionnée "Badlands" qui l'introduit ne trompe pas, donc : cet album est plein d'amertume, exprime la laideur du monde à sa façon, burnée et sensible. Il carbure aux évocations de vies broyées, flamboie pour cracher une angoisse, chiquée dans les milieux de semaine, les banlieues dérivant dans le grand vide.
Le style plus-ricain-tu-meurs de Springsteen y frôle parfois le carton et le cartoon, mais touche souvent en plein cœur par la puissance de la mélodie, à l'image de la hargneuse "Adam raised a Cain", imparable shoot d'adrénaline pure sur syncope de piano-guitare, sous ce gosier nicotiné qui beugle en beauté avec l'assurance d'un Danzig avant l'heure, une relecture foutrement bien sentie du biblique pour les malédictions familiales, cette vieille antienne. Même quand sa voix poussée se fait pénible ("Something in the Night", "Streets of Fire"), quand Springsteen la force, la sur-masculinise, comme s'il voulait davantage s'émanciper des nasillarderies sibyllines du maître Bob Dylan par le prisme de la testostérone. Son sanglot est viril, parfois un peu grotesque. Mais il le saisit comme une Durandal. Même quand il donne dans l'image d'Épinal du prolo, Darkness on the Edge of Town est un album qui suinte la vérité d'un ressenti, si pas d'un vécu, et la noirceur sous tout son clinquant, parfois pris de bouffées de lumière extatiques, descendantes du flamboyant Born to Run ("Candy's Room", si urgente et scintillante...) Car Bruce n'exhorte pas au désespoir. Même quand il est fataliste, il se veut paradoxalement rassurant : il y a une lumière au bout du tunnel, même si c'est juste celle de la prochaine clope allumée dans le trou du cul de l'hiver. Certains y voient misérabilisme de mauvais goût. J'y ressens candeur et sincérité, jusque dans la grandiloquence, jusque dans ce pouls final fatigué mais urgent du titre éponyme. La puissance du rock, raffiné mais simple, les trémolos et le surjeu oui souvent, mais une vérité assez brute de décoffrage dans ces petits bouts d'histoires d'usine, de bagnoles et de déceptions, dans ce blues de la banalité du béton et des emmerdes.
Dans le même esprit, Raven vous recommande...




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- GrahamBondSwing › Envoyez un message privé àGrahamBondSwing
Pas vraiment amateur du Boss, même si j'apprécie certains de ces tubes. J'ai toujours eu du mal à m'enfiler un album en entier, et une des raison c'est le son beaucoup trop propre : le saxo pas assez alcoolisé, mais aussi les claviers (devoir utiliser le pluriel est déjà un mauvais signe en soi) avec un piano qui sonne beaucoup trop classique et un orgue assez affreux un peu à la Dire Straits, et je crois qu'on entend régulièrement un métallophone (ou peut-être un synthé qui imite ce son) qui vient gâcher n'importe quel morceau. Ceci dit Adam raised a Cain est une excellente surprise.
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- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Ben...acheter l'album, si possible en vide-grenier le vieunyle tout usé écorné avec dessus des signatures dégueu au bic bleu comme "Jean-Philippe" ou "Géraldine" "🩶" ? Ou aller sur Spôtifaille... Mais l'écouter.
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- Wotzenknecht › Envoyez un message privé àWotzenknecht
Ce type c'est soit rock de grand-daron soit il te fout par terre en dix secondes, ce qui me le rend hautement imprévisible. The Essential contient aussi Missing mais pas Racing in the Street, que faire.
- Gros Bidon › Envoyez un message privé àGros Bidon
Je profite de la résurgence du sujet Bruce Springsteen pour vous recommander la superbe chanson "Lift Me Up" composée pour le film "Limbo" de John Sayles en 1999. A retrouver sur la compilation "The Essential Bruce Springsteen" en version 3 CD.
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- Raven › Envoyez un message privé àRaven
The River j'ai toujours un rapport assez schizo avec, dégoût/affection, j'ai envie de le prendre dans mes bras certains moments, de le baffer à d'autres. On en a pas fini, clairement, lui et moi.
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