Ça va ? Bien fêté le Nouvel An ? La famille, ça va ? La santé ? Désolé, je viens gâcher l’ambiance… Rassurez-vous, peu de gens seront affectés car l’objet est destiné aux collectionneurs et aficionados de Gitane Demone. Box de 4 vinyls pour relater la lente déchéance d’un homme âgé sombrant peu à peu dans la démence, hanté par les souvenirs meurtriers de ses ancêtres. C’est dit. L’oeuvre est composée comme une forme d’opéra avant-gardiste dont Gitane a rédigé le libretto et où le musicien allemand N assure la musique. Extrêmement dépouillée, tissée à base de drones de guitare, cette dernière a exigé un travail d’orfèvre pour laisser la tension exister même dans les silences, pour que chaque note puisse respirer ou faire souffrir. Rien n’est destiné à améliorer le confort de l’auditeur/trice, il faut savoir prendre son temps, attendre quatre minutes de quasi silence pour que se devine une nappe. Le chant de l'extraordinaire Gitane y est terrifiant, rachitique, possédé, fragile, terrifié, alors qu’elle conte plus qu’elle ne chante les visions du protagoniste mi-lucide mi-halluciné par sa descente aux enfers. Plus l’oeuvre avance, plus les drones exhalent un parfum noir dont l’essence ne se dissipe plus, plus la voix se fait menaçante, folle (le gospel macabre de ‘Gospel truth’), avec des chutes fragilisées profondément émouvantes (‘Vibgyor’) car même les salauds demeurent des humains après tout, pas vrai ? Face à la fin, nous ne sommes pas toujours si différent/es. Diamanda Galas vous terrifie ? Ne vous frottez pas à cette oeuvre bien différente dans sa forme mais tout aussi glauque et intense dans son fond. Ce travail a demandé des années d’effort et se réserve à un public averti. Un public qui ne pourra se réfugier dans l’espace entre la scène et les fauteuils puisqu’il se trouve pris pendant plusieurs heures dans l’esprit vacillant d’un homme rongé par l’âge et aux portes de la démence. Autant dire qu’écouter l’entier de l’opéra requiert une santé mentale d’acier et du temps à disposition; il est cependant possible d’écouter chaque disque pour lui-même, en y perdant un léger contexte malgré tout mais c’est sans doute l’unique solution, pour ma part en tout cas. Je croyais profiter des 12 heures de vol entre Rome et Buenos Aires de nuit pour m’y attaquer mais j’ai jeté l’éponge après les 3 premières disques. Besoin de respirer, de détendre la tension qui meurtrissait inconsciemment chaque nerf de mon corps. Difficile de parler d’un tel opus tant il se ressent dans la moindre de ses anfractuosités, de ses souffles, comme un cauchemar dans lequel on étouffe sans pouvoir se réveiller. Là où Diamanda Galas est capable d’incarner la mal humain dans sa forme la plus malfaisante, Gitane Demone, elle, incarne la terreur et la fragilité de l’être, aussi mauvais soit-il… J’ai rarement écouté quelque chose d’aussi intense et le format n’aide pas.