Sorcia › Lost Season

La boue emplit cette cuve, toxique, épaisse, au fond des bois. L'industrie écoule ses saloperies loin des regards. L'aura souillée gagne chaque année, chaque mois, tous les jours quelques mètres, quelques pieds, quelques pouces. Les jeunes du lycée, sans être encore nés avec des membre en plus ou des écailles, commencent à montrer des gueules comme sorties de Black Hole ou d'une autre bédé, d'un autre comics sale, haleine d'encre punk et trait grunge épais. Les vieux sont noueux. Le ciel est lourd et les eaux sentent – et grondent. Les insectes sont trop nombreux. Les chevreuils ont de drôles de proportions et la nuit on entend grogner on ne sait quoi.

Lost Season est un bon film. Série ce-qu'on-voudra. Un brouet de sludge étouffe-païens modèle vestes à carreaux/hoodies, de résurgences doom seventies alourdies, en remontées mauvaises, de stoner qui regrette sa soirée, d'avoir avalé, de s'être enfourné, enfilé tout ça. Tout le monde, là-dedans, « a les codes », mais personne n'en profite pour filer droit, plan-plan. Les cassures font des plans de profondeur. Ça peut riffer heavy sans que jamais on pense spandex. Ça peut ralentir englué sans donner l'impression que ça va caler – plutôt que ça va prendre davantage son temps pour nous faire trébucher puis pour nous marcher, nous rouler dessus. Les voix (celles de la bassiste et du guitariste) alternent les registres – psalmodie de sorcier/sorcières (forcément), hurlements arrachés, rocailleux, gravillonneux, sanglants. La gratte sait faire des couches, sédiments et strates élastiques, sans en faire des caisses – comme le reste, d'ailleurs. La batterie crache sa bruine caillouteuse, elle aussi, plein le décor. Le groove tombe en gros bouts chauds de containers et de remorques carrés, rigides mais oxydés, percés. Ça drone, parfois, au-dessus des têtes fracassées, fendillées, émoussées des piquets. Tad Doyle – de Tad, peut-être bien le moins sortable des groupes estampillés « grunge », à l'époque – produit la chose, sait lui donner la bonne couleur douteuse mais goûteuse, les contours déchiquetés, défoncés mais définis, solides. Ça pue les bonnes musiques chargées, plombées, de cette région là – Seattle, l'état de Washington. Musique mal embouchée mais pas péniblement ramenarde, pas musclée pour la frime, sapée comme à la ville ou comme dans la clairière. Truc pas tranquille mais très direct et communicatif, presque amical dans sa volonté de partager ses miasmes. Ça se passe comme une bière curieusement pas mauvaise, assaisonnée d'un shot de raide trié sur le volet vermoulu.

On revient pour ça sur le site. On y prend goût. Ça vaut bien, ça surpasse d'autres places pour le rien-faire – s'envoyer donc des roteuses en boîte, dégommer si ça nous prend des cannettes vides – du même allu, ou les bouteilles en verre, une fois leur sort à elles pareillement réglé. L'air y est d'un sinistre, d'un morne délectable, qu'on apprend à déguster chaque fois plus, d'une virée sur l'autre. On y traîne. On y cause. On s'y secoue – si possible lentement, dans une espèce de ralenti qui fait exprès de maintenir l'épique au stade de la reptation. Que ça puisse se mêler au sol et que ce soit ça – la terre humide – qui ensuite exhale tout. Le paysage s'obscurcit. Ça sent encore bizarre. Il va falloir faire gaffe où on posera nos pieds, quand arrivera l'heure de retrouver le pick-up pour rentrer dans nos turnes.