‘Contre la capitulation’, le message est clair et s’il peut sonner ridicule et obsolète de la part de certains artistes,, c’est autre chose quand on évoque les Slovènes de Borghesia. Non seulement car tenir tête à la censure et au gouvernement, ces gens-là savent faire et dans des conditions peu évidentes, ensuite ne matière d’électronique, ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Basé sur les écrits pan-européens du poète Srečko Kosovel fauché par la maladie en 1926 âgé seulement de vingt-deux ans, ce nouvel opus est à mon goût le plus réussi, le plus ambitieux, le plus riche fourni par le collectif et pourtant il y avait du niveau. Franchissant allègrement les barrières de genre, le disque mêle ambient cinématographique, pop indus, electro, un zeste d’expérimentation rêche, quelques passages vaguement dansants même si tel n’est clairement pas le propos, de lointaines inspirations folkloriques dans l’âme, collages musicaux. A l’écoute, on en imagine aisément la mise en scène tant le disque formel un tout cohérent alors que chaque morceau peut pourtant s’écouter pour lui-même. Moins extrême que de coutume, la musique n’en est pas moins riche, subtile, suggestive, usant du savoir-faire de briscards à l’ancienne qui ne sonnent pas démodés pour autant. On sait boucler des loops courtes, doser les effets, faire claquer les boîtes, placer les vocaux (masculines et féminins) là où il faut… Inutile de chercher, même les compositions les plus rythmées ne sont jamais ouvertement dansantes, beaucoup de césures, un chant qui n’a rien de réellement pop, volontiers inspiré qu’il est du folklore balte refondu en un format mélodique pourtant, des rythmes jamais hyper rapides, une habileté à rapprocher du Depeche Mode fin 90’s d’une certaine manière… L’équilibre est également parfaitement dosé entre pièces plus atmosphériques, tragiques, réflexives, et les autres plus clairement rythmées (‘Jaz Protestiram’, sorte d’EBM tribal, ‘Rodovnik’, etc.). Certaines conjuguent presque tous ces éléments entre leurs lignes, ainsi la drôle de valse martiale de ‘Razočaranje’. A mi-chemin, un morceau éminemment funèbre et tragique, le bouleversant ‘Evropa Umira’ qui scinde vraiment le skeud en deux, comme si une forme d’espoir avait été perdue. La complémentarité des timbres féminins et masculins y est remarquables, de même que la fusion entre sonorités modernes (les loops, le son des boîtes, les bruitages) et technique ancestrale dans la manière de poser les mélodies vocales. C’est là qu’on regrette de ne pas comprendre les paroles, ainsi sur l’ironique ‘Moj Črni Tintnik’ (mon encre noire’) faussement glam déglinguée avec même une mention au fameux ‘Da-da-da’ de Trio (boîte à 2 sous comprise)… Est-ce si important ? Le pouvoir évocateur de cette musique est bien assez efficace. Apparemment, le jeune poète avait déjà mis en place une technique proche du cut-up et s’élevait ardemment comme les politiciens européens de son époque ainsi que la petite bourgeoise conservatrice. Magnifique hommage que cette fresque constructiviste où la beauté des mots dans leur essence au delà du sens est magnifié par la mise en scène musicale passionnante élaborée par le collectif. Une preuve qu’il n’a pas terminé sa réelle mission, l’exploration du son et sa fusion avec les idées…