Cette fois les titres ont l'air d'intitulés de chapitres, d'autant d'essais politiques – pessimistes/réalistes, manifestes outre ou sub-nihilistes. Considérations laconiques sur le corps et la guerre, le monde matériel dur, la consommation, le vide et le plein qu'on se ramasse sans cesse dans les dents – consentant.e.s ou pas, désirant encore sans savoir pourquoi, avec tous les « malgré » et tous les « parce que », les « avec et sans ». Cette fois encore le son est criard et dégueulasse, gelé, saturé, instable et rigide, impitoyablement. De l'indus passée pop, de la dance tournée bruits de cauchemars – comme enregistrés directement, field-recordings de ces mauvais rêves. Ça sent toujours, déjà, les trucs qu'on crache parce qu'ils nous hantent – nous empêchent, nous tendent, nous poussent.

Béton brut est bien noise. Encore rock – noise-rock, oui, à sa manière gothique crasseuse, cold-baveuse et raide. La géométrie techno, binaire, hermétiquement scellée, de l'EP qui sortira deux ans plus tard (Everytime I Close My Eyes) n'y est pas encore mais les arêtes, déjà, saillent, coupent les mains, les membres, déchirent les strates de matières qui macèrent dans leurs formes, bassin de boucan aux bords qui blessent. Aux bords à quoi, pourtant, on se rattrape. Sur quoi on se hisse et on se relève, se dresse, même. Pour plonger, y retourner. Parce que comme ailleurs, avant, après celui-là : YC-CY c'est un sale trip mais c'est libératoire, on jubile avec eux de tout lâcher aussi fort et sans précaution, sans se demander si ça va faire mal, si les marques vont rester.

Ce disque, aussi, parmi les leurs, a quelque chose de plus mobile, moins monobloc que d'autres – malgré son titre de matériau lourd de chantier. Les vitesses changent. Les registres de la voix – criée, parlée dans les graves, jamais vraiment chantée, n'exagérons pas. C'est un disque construit – avec des détours, des chicanes, des reliefs. Des escaliers et des pièces dont l'architecture nous plongent soudain dans le noir ou dans les douches de lumière crue. Un disque brut, oui – mais brutaliste, plus encore, qui se rappelle que le béton, justement, permet des variations presque infinie, autorise des perspectives, peut se mouler, soutenir, faire des corniches autant que des fossés. Les murs des mauvais rêves, donc, oui, bien-sûr. Les rampes fantasmatiques, aussi, des tunnels d'échappée. Le hic du brutalisme – le courant ainsi nommé dans l'urbanisme, l'habitat – ce n'est pas sa laideur ou la beauté violente à quoi il tend, prétend. C'est que des vivants doivent y vivre. Que ça grince, de s'y établir. Que c'est à la fois : irréel et TROP réel, solide. Et puis il y a les bêtes qui s'installent autour, dans les friches et les espaces de ventilation, les trous d'usure dans les vides sanitaires.

YC-CY, sur béton brut, turbinent, moulinent, cisaillent. Comme toujours. Cognent et entraînent. Testent nos résistances – la leur, la notre, celle des surfaces pleines contre quoi ils tambourinent. On a comme toujours, quand ça jaillit, l'envie de détaler pour ne pas que ça nous recouvre, nous pollue. On a comme toujours l'impulsion de s'y enfoncer – et à la fin, comme d'habitude, l'impression que c'était bien trop court.