"Tout le monde saigne". C'est pas Batte-cloutée-man contre Super-sans-plomb-95-man, ça ? Non c'est Chat Pile contre, euh... l'Amérique, ce "Pays de Dieu" ? Ses enflures de psychopathes milliardaires qui parlent de peuple du haut de leurs tours de tromperie ? Les sourires éclatants de ces obsédés de l'accomplissement par le fric seul, qui ont la recette magique ? Vous savez, ces "winners" qui aiment rien moins que parler de leur réussite, étaler leurs prises, leur SUV super connecté, leurs voyages en famille à New York et Dubaï, leur femme-trophée au regard vide (car dans sa cage dorée elle s'ennuie à en mourir avec ce connard), bref ce genre de personnages-symptômes d'une époque, avec lesquels on finira dans le charnier... Le béton c'est pas la même cage pour tous, en attendant le godet.

Chat Pile, jeune groupe déter-miné, nous rappelle donc sur ce terrible premier titre "Je Suis Chien Maintenant" (beaucoup moins sympa que "Je Veux Être Ton Chien") le communisme élémentaire : "tout le monde saigne". C'est une variation de "tout le monde crève" mais bon, les gars sont pas spécialement des philosophes, même s'ils se réclament de Rousseau. Ce n'est pas le contrat social qui se ressent le plus ici. Plutôt la rage prolétaire brute, et une musique pleine de ressentiment et monstrueusement efficace, balancée par quatre types possédés. Une musique qui vous fait redécouvrir de quoi sont capables une basse, une guitare, une batterie, une voix, quand il s'agit de faire dans le tracassant. Merci à l'éminence rose SOUM, sur le qui-vive, et aux Guts Sessions "news" menées par MC Rasti pour la diffusion comme une seconde couche, sans quoi je serais peut-être passé à côté de ce disque sale, intense, organique, chargé en émotions négatives, mais à sa façon foutrement funky. Je dis "peut-être" parce qu'après navigation ouèbe, ce Cool World a l'air de faire le gros beuze. Mais comme je ne suis pas activement les niouzes en bon con d'archiviste, jamais premier sur l'info, peu porté sur les réseaux dits sociaux... Même si en vrai, le nom a pas aidé. Chat Pile. Sérieux. CHAT PILE. Nom grotesque vu d'ici... mais fortement industriel et déprimant vu de là-bas. C'est un gros bout de leur paysage, ces collines de déchets miniers qu'ils ont choisies comme blase.

C'est quoi leur problème hein, à ces gars de l'Oklahoma ? Z'ont pas envie de faire envie ? Pourquoi ce panorama pas du tout cool ? Ce logo trve-black-vomi ? Qu'est-ce que c'est que cette vibration et ce feng shui ?! Bon, au moins on s'en souvient. De même que de leur musique, qui en 2024 prouve que, streaming ou pas, mort de la musique qui a déjà tout dit ou pas, la rouille et l'organique sont encore réels et peuvent causer dru. Alors LP, CD, MP3, vous allez la sentir passer l'ambiance, la gueule de bois par le métallique, garanti, avec du verre pilé dans l'humeur. Chat Pile répare pas, Chat Pile remplace pas ; Chat Pile met tout dans le cerveau façon huile de vidange usagée de vécu de merde qui a pas digéré. Cool World exprime quelque chose de fort, de viscéral, d'extrêmement communicatif. De réel, de présent. C'est maintenant, ça se passe maintenant, et c'est comme si rien n'avait changé depuis fort longtemps, mais avec le goût du maintenant. Façon paie partie en fumée dans la gnôle au milieu du mois. Nervous breakdown et nuits blanches à Shitville. Un truc ultra-frontal, brutal, viscéral. Avec des guitares riffues griffues au graillon, de la ligne de basse à tenir du téléphérique soviétique, du chant qui braille contre les éléments ou aligne froidement du phrasé spectral, du beat de sanglier à bout de nerfs dans un container. Et tout ça se paye en plus le luxe d'être groovy. Hachuré à mort, mais groovy. Pas par pose ou pour faire le malin ; par pur instinct.

Chat Pile sont habités par leur musique, ils la balancent comme elle leur vient, c'est du brut d'émotion, du brut d'ambiance, du brut de rythme, qui amalgame en même temps pas mal d'influences, en premier lieu Korn et Godflesh comme déjà relevé. Mais sans chichis : pas là pour les salamalecs. Brut de décoffrage, brut de freak, brut d'intensité. Alors vous voulez que je vous cite laquelle, comme si je devais disséquer un choc ? "Shame" et son intro indie-nineties a priori sympa, qui vire au batcave pointant à l'usine puis au sludge de secte ? La godfleshienne "Frownland" pour faire des pompes au rythme des pumpjacks ? Cette version vraiment cauchemardesque de Les Claypool ("Funny Man") ? "Camcorder" la nonchal'hantée ? "Tape" à la "Today is NOT the Day" ? La haineuse et jouissivement dissonante "The New World" ? La proprement hallucinante "Masc", qui m'achève à chaque fois ? Allez on va dire : "Milk of Human Kindness", contre l'intégrale de Nirvana. Pourquoi ? Mais parce que !!! Cool World c'est de l'ambiance en barre d'uranium suintante, c'est une bonne grosse teigne bien congestionnée, c'est le mauvais rêve américain qui te choppe et t'emporte dans son pogo bestial. Comme on dit dans le jargon : œuvre totale. Un disque comme on en a peu vu depuis les années 90, à l'époque où sévissaient des aberrations comme Acid Bath ou Fudge Tunnel. Une sacrée taloche d'ambiance dans les tripes du cerveau, les yeux injectés de stress, l'humeur dans les genoux, les genoux à genoux, dans la terre polluée, face aux mines fausses de ce triste monde de tarés paumés qui est le nôtre. Banlieue sinistre, expression de survie, envie de fusil, tubes contondants et bondissants pour fin d'espèce. Une musique de l'humanité, cette sale race, vue du fond du bungalow de chantier.