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Thin Lizzy › Fighting
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La réédition double digipack deluxe contient 15 bonus, dont l'indispensable face B de "Rosalie", "Half Caste" (sublime reggae-rock façon Lynott sur le racisme ordinaire qu'il a vécu), des versions alternatives, sessions BBC...
line up
Phil Lynott (chant, basse, guitare acoustique), Brian Robertson (guitare, chœurs, piano), Scott Gorham (guitare), Brian Downey (batterie, percussions)
Musiciens additionnels : Roger Chapman (chœurs), Ian McLagan (piano)
chronique
C'est sûr qu'il faut vouloir la franchir, cette pochette proto-Warriors voire Rue Barbare avant l'heure, en opération juvénile dans les bas-fonds dublinois sans peur de la caricature nanardesque (mattez-moi juste la tronche de Brian Robertson, avec son schlass !) En voilà du denim moule-paquet, en voici un bel exemple de musiciens forcés à poser pour une photo ! On dirait une vieille chanson de Renaud en pochette, façon Lizz' Béton. De l'utilité marketing d'avoir un Jim Fitzpatrick... C'est pourtant sous ces fripes de boutonneux que Thin Lizzy trouve ce qui est communément appelé la maturité, sa "formule". Dans le bon format, le bon calibre. Quitte à laisser des puristes sur le carreau, ils ne sacrifieront pas leur personnalité sur l'autel de la gloire, non, pas de ça avec Philou. Élagage de guimauve, recentrage sur le ROCK. Leur rock à eux rien qu'à eux. Ce hard rock à guitares jumelées, plein d'harmonies et de suavité. Moins de sucre que sur Nightlife, plus d'acier, sans oublier cette générosité et cette pureté mélodiques sans lesquelles Thin Lizzy serait Fat Josy (ou Whole Lotta Rosie ?)
Ignition mélodique franche sur un riff irrésistible à la Free, frais comme tout : propulsion tranquille par le tube "Rosalie", reprise supérieure à l'originale et dont le charme n'a jamais failli. Même si je lui ai toujours préféré la ronflante "Suicide", reprise d'une session de 1973 : le premier gros tube hard rock du groupe après "The Rocker", en grande partie grâce à la présence du mésestimé Eric Bell, plus important que Gary Moore en réalité (cf. le joyau méconnu Vagabonds présenté par notre Psychédariev)... Fighting, disque de transition ? Non : disque de confirmation, comme pour la communion (l'matou Lynott était catho, ça passe). Thin Lizzy ont poursuivi une trajectoire héroïque sur au moins six albums - chacun orné d'une pochette radicalement différente de la précédente, chacun regorgeant de trésors secrets, charmant soit d'emblée soit au fil des années... Je pense par exemple à la menaçante et divine "Spirit Slips Away", spectrale à juste titre, qui rôde comme l'âme damnée au son d'un riff maraudeur à la Iommi, vision trouble dans la nuit (pour ceux qui se demanderaient "que font Thin Lizzy sur Guts of Darkness ?" voici un des meilleurs exemples). Ou à la folk à relents celtiques de "King's Vengeance" (à laquelle je goûte plus qu'au creux de la face B "Silver Dollar" et "Freedom Song"). Fighting est bien plus subtil que sa très crue pochette de loubards ne le suggère, que l'enchaînement hardos super-calibré des trois premiers titres ne le laisse croire.
C'est un album de loubards en fait, oui : mais des loubards de grande finesse, avec des bandanas à motif floral, des qui font limite chochottes, mais astucieusement limite, cette fameuse limite entre voile et vapeur qui fait que tant de musiciens de l'époque attiraient les nénettes dans leur escarcelle (Prince s'en souviendra), en assumant leur sensibilité de voyous menés par un poète, sans jamais perdre de vue leur objectif fondamental chaud et humide (chro de boomer inévitable). Un peu comme une moto peinte en violet profond (clin d'œil à un autre groupe de hardos qui n'a pas le dixième de leur prestance) à la puissance contrôlée dans une ambiance urbaine et nocturne à la fois rassurante et menaçante, voici en plein épanouissement pour vos esgourdes l'ambiguïté fondamentale de Thin Lizzy, son androgynie en jean et perfecto, sa double identité de genre si j'ose dire, celle qui en fait le roi de cette espèce rare de hard rock sensible pouvant avec la plus grande aisance passer du super-dur au super-tendre, ses manières singulières de gentleman bagarreur mi-rustre mi-artichaut, cette dualité lizziesque disais-je, est ici incarnée par la grâce et la délicatesse hallucinantes d'une "Wild One", autant que par le final "Ballad of the Hard Man" et son malmenage de stéréo à grands coups de voix déformées, samples de talkie-walkie dégueulasses (le côté expé de Thin Lizzy pour ceux qui veulent venir nous chipoter dans les bottes), plus attaque conjointe des guitares duellistes... La grande classe à l'irlandaise, à grands coups de latte dans le juke-box, et des mamours aux mamans entre les bastons, parce qu'aucun hard rockeur ne faisait les slows comme Philou et ses boys. Parce qu'aucun groupe ne ressemblait à Thin Lizzy.
chronique
- orange (roule des) mécanique(s)
1975. C’est à partir de là que le rock au sens large, avec sa culture, son contenu et sa vivacité, commence à décliner. Et Thin Lizzy de grandir, de prendre des forces, de sublimer et d’affuter sa recette à base de Twin Guitars rutilantes. Niveau emballage, le contraste est rude et brutal : fini les lettrages psychédéliques, les dessins chamarrés, c’est un virage hardos au logo très comics, tranchant et moderne, heavy avant l’heure, sceau viriliste / signature de gang, pour une imagerie de voyous punks prêts à dominer les rues. En ça, ce n’est pas un hasard si le groupe sera exempté – avec le glam – du grand rejet du hard rock par le punk. Un peu comme AC/DC, Thin Lizzy n’ont jamais eu l’air d’arrivés ni d’arrivistes, mais toujours d’outsiders prolos, pleins d’espoir et prêts à en découdre, ce que leur discographie raconte presque jusqu’à la fin.
Niveau contenu, hormis la triplette d’ouverture, tous riffs dehors, on est encore loin de la machine à tourneries et à riffs durs que sera Jailbreak, et tout ce qui s’ensuivra. Les influences funk et soul gardent encore la main, et les intentions dominatrices de la pochette attendront en réalité l’album suivant.
La classique 'Fighting My Way Back', bien que racontant avec force enthousiasme et moult bourre-pifs le retour en grâce d’un chef de gang qu’on avait cru trop vite dépassé, reste solidement ancrée dans le groove funky de Nightlife, légèrement dansant et surtout narratif. Comme sur l'ultime et surclassieux tube 'For Those Who Love To Live' (merveilleux, ultime), ça ondule, ça chaloupe, ça invective en fumant du coin de la rue, sous le réverbère, ça roule des épaules toujours autant. Sans cabotinage, sans superflu, sans posture. Et ça tabasse un peu plus qu’ailleurs, certes, mais ces roulements sont encore de noble ossature early 70’s. Comme un boxeur anglais qui mettrait à l’amende le jeu de pieds de Chuck Norris rien qu’avec ses poings, sans cette merde de close-combat chinetoque de pacotille. Pff, approche un peu, moquette rouquemoute, j’vais te tarter la barbe sévère avec mon gant de cuir clouté, ça va te passer l’envie de jouer les Fu Manchu !! Bref, il n’y pas un brin d’esbroufe metal là-dedans, pas un brin, et si vous voulez mon avis, c’est pour ça que c’est si bon. 'Spirit Slips Away' (chef d'oeuvre) est carrément piégeuse comme du space rock, solitaire dans son odeur de gazoline, mélancolique sous les étoiles, dans une glorieuse allure de ballade où l’on jurerait, once again, entendre Brian May soli-iser dans un timbre violoné, avant le retour de ces riffs fatidiques qui pourraient franchement être du Hidden Hand ou du Spirit Caravan sans problème… Car c’est de ce niveau-là. La version longue, trouvable dans la réédition deluxe, est délectable, avec ses sons de chalumeau. On se croirait à l’aube des temps, la voix songeuse de Lynott supervisant la création de la vie sur terre, entre l’enclume magmatique perçant les kilomètres de glaciers, et le marteau des astéroïdes protéinés.
Parlons-en, d’ailleurs, de cette indispensable version deluxe. Par ma barbe, c’est quoi ce groupe dont les bonus sont meilleurs que la moitié des albums ? 'Half-Caste', quelqu’un ? C’est quoi ce titre absolument génial, commençant comme un calypso-reggae au minois adorable et au déhanché fort adéquat, et muant subrepticement en feinte jazz-funk tout en furtive précision ? Cappucino inéluctable, où le nuage de lait mijote un sale coup derrière l’air innocent et exotique du café, à moins que ça ne soit l’inverse. Encore une fois, que ne fut-il blanc, Phil Lynott, pour que ce titre devinsse un tube, car à ce stade le chroniqueur ne peut que se demander qu’est ce qui a freiné les radios, les médias et les faiseurs de légende de discerner la gloire à Thin Lizzy, cette gloire si vite accordée aux lourdauds Deep Purple / Rainbow (ok Rainbow ont 2 très bons albums, allez), par exemple. Et il n’y a pas que ce titre, oh non, il y a aussi cette ballade soul à l’ancienne qu’est 'Try A Little Harder', réminiscence superbe de 'Still In Love With You', ou 'Song For Jesse', instrumental piano-folk qui renvoie à ses cotillons tous les Elton John du monde.
Fighting est encore bourré de midtempos sensuels, de soleil en bouteille (on appelle ça « rhum »), de candeur folk, de refrains lumineux et presque dignes de King’s X dans leur clarté levée au ciel ('Silver Dollar', groovy et confortable comme une veste de jean sans manches. Comment dirais-je... Un chef d’œuvre ? Bien vu. Absolu.), bref, de tout un héritage 60’s qui allait faire regarder Thin Lizzy comme une indispensable curiosité dans cette fin de décennie 70. Au-delà du statut d’unique mulâtre du hard rock de Lynott, un statut incontesté et admis comme force distinctive par le public blanc, Thin Lizzy gardait toute une noblesse mélodique sixties, tout un art de la tournure qui prend son temps, berce et fluidifie les imprécations de chef de meute… Le tout avec une sorte de pugnacité rootsy malgré tout, un côté ZZ Top période Tres Hombres (cf « Master Of Sparks »)… Autant d’éléments qui dans le mainstream allaient se perdre au fil de ces années bien ingrates en vérité, ces 1975-77 qui ne seront guère profitables qu’au jazz-rock (le punk ayant déjà germé avant, et délivré ses plus copieuses mutations en 78 et après). Thin Lizzy va tout simplement dominer de la tête et des épaules toute cette fin de décennie, sans sembler faire autre chose que prolonger l’état de grâce entamé sur Vagabonds… Fighting est une rutilante, tressautante, et surtout trépidante usine à tubes. Inenvisageable de mettre moins de 6 à ce disque, leur plus classe et affuté. Inusable.
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- Coltranophile › Envoyez un message privé àColtranophile
Malheureusement, celui auquel tu penses est sans doute déjà en PLS à la vue de Phil Lynott et sa bande (je parle même pas de la voix).
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- born to gulo › Envoyez un message privé àborn to gulo
Bonjour, le disque comporte-t-il des accords blues majeurs, je vous prie ? Je demande pour un ami.
Message édité le 19-10-2024 à 14:11 par born to gulo
- Coltranophile › Envoyez un message privé àColtranophile
On va s'amuser avec toutes ces chroniques d'un coup. Le disque parfait pour rendre inopérante la comparaison avec les groupes de métal anglais de l'époque et suivants, Maiden en tête. Lizzy, c'est plein de soul. Rien que la voix de Lynott, forcément (qui est une des plus belles choses arrivée au hard-rock, vraiment), mais aussi sa basse et la section rythmique toute entière. "For Those Who Love to Live" préfigure "Dancing In The Moonlight". Un must.
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- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Ah bah c'est pas pour rien que je le cite "Les Guerriers de La Nuit" (à côté de Bernard "Chet" Giraudeau OK) : c'est carrément ce disque, ouais.
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- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
La face A, "Spirits Slips Away", " Silver $"... Et sur ce "fighting my way back", on se croirait dans le film The Warriors, c’est donc la classe totale et incontestée. écoutez ce disque.
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