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Ornette Coleman › Dancing In Your Head
informations
Theme from a Symphony (Variations One & Two) enregistré aux studios Barclay, Paris, en décembre 1976, par Francis Maimay. Midnight Sunrise enregistré live en 1973 à Jajouka, Maroc.
L'édition CD Verve de 2000 contient une deuxième version de Midnight Sunrise, d'une durée de 3'50''.
line up
Ornette Coleman (saxophone alto), Charles Ellerbee (guitare lead), Ronald Shannon Jackson (batterie), Bern Nix (guitare lead), Jamaaladeen Tacuma (Rudy McDaniel) (basse), Robert Palmer (clarinette), Master Musicians of Jajouka (sur Midnight Sunrise)
chronique
Le funk qui dézingue l'entendement... Le jazz qui cesse d'en faire pour continuer d'en être – de chercher, de ne pas rester en place, de ne pas se figer en petit confort, sans se mettre à gesticuler n'importe comment comme si ça suffisait à jouer « free », comme si c'était une garantie de liberté. Non... Dancing In Your Head – comme d'autres albums d'Ornette Coleman de cette époque ; comme d'autres disques sortis de la même nébuleuse ou dans des parages proches, la Decoding Sociey de Ronald Shannon Jackson bientôt, le blues « harmolodique » (concept d'ailleurs estampillé par Coleman) de James Blood Ulmer, même, autrement, les désossements de dancefloor de Defunkt... – c'est autre chose. Une idée – un musique – explosée, éclatée, mais complexe. Des nœuds et des réseaux de mélodie, de rythmes, d'harmonies qui se mélangent, se confondent, échangent leurs dessins pour se muer les uns en les autres plutôt que de chercher à se différencier absolument, de dissoner dans un ensemble. Une poussée collective qui pourtant ne noie, n'écrase pas les voix individuelles. Tout tend vers l'expression commune, harmonieuse – mais chacun y va comme il sait, comme il veut, comme il croit que ce sera le mieux.
Dancing In Your Head groove sévère – tous les éléments sont démis mais le mouvement est irrésistible. Coleman nomme l'une de ses compositions – jouée deux fois, en deux variations ; ce qui permet d'entendre autant la latitude que ces musiciens se donnent que la discipline à quoi ils s'astreignent pour que la matière reste tenue, ne se délite pas – Thème Tiré d'une Symphonie. Mais tout ici met à mal l'idée qu'une « grande forme », qu'une musique ambitieuse, développée, devrait forcément suivre les codes de celles dites « classiques », certifiées savantes... Il en faut, pourtant, du savoir – théorique certes, sans doute, technique, aussi, sur le plan de l'exécution, pour interpréter ces plages. Il ne faut pas que ça, il en faut un autre – celui, justement, de ne pas savoir seulement exécuter. Il faut, aussi, un sens de l'improvisation qui ne la cantonne pas au tour de force – lâcher son solo puis retourner à la masse. Non : tout est solo continu, « chorus », là-dedans – dans les deux sens possibles du mot, simultanément, le plus souvent : variations sur une grille, une mélodie, sur une nombre de mesures données ; voix chorales qui bougent ensemble, entretiennent un rapport plus ou moins direct, se répondant, se complétant, s'altérant. Tout bouge tout temps – et tout reste cohérent. Tout se reconnaît mais rien n'est arrêté. On identifie le morceau – le Thème précédemment cité – d'une version sur l'autre, on serait même bien en peine d'expliquer, sans annoter, relever, remettre sans arrêt l'écoute, ce qui change à quels moments. Il est certains, pourtant – assez évident, même – que les deux propositions ne nous mènent pas au même endroit. Espaces voisins – parallèles comme les univers du même nom (après tout, Ornette avait sorti cinq ans plus tôt un disque nommé Science Fiction...) ? Espace sans cesse modifié, en cas, mais jamais désagrégé – la consistance jamais mise en danger.
Midnight Sunrise est encore ailleurs – mais rien ne se nie, ne se contredit, de cette plage aux deux précédentes. Coleman y rejoint les Maîtres Musiciens de Jajouka – ensemble marocain qui, lui-même, explore sa musique, sa tradition. Ce sont deux approches – de l'improvisation, des ensembles et des lignes distinctes, encore une fois – qui se rencontrent, se trouvent. Là aussi, le rythme est le chant – et symétriquement, inversement, réciproquement. Car là aussi, tout est mouvements saisis et continués à même ces correspondances – chaque mélodie comme chaque « pattern » est une cellule, chaque élément peut se fondre à la forme, dans la masse, l'énergie de l'autre – et l'altérer, encore, l'enrichir ou la délester, l'affiner, tout devient ensemble autre chose, sans que ne survienne de déchirement, d'effondrement entropique. Le titre est court, cette fois, et l'impression première (pour moi, toujours !) est celle d'une musique qui s'écoule et s'élève en ondes, se répand, là où les variations sur le Thème ne sont que rebonds et cahots, croisées de trajectoires, de particules qui filent. Une autre métaphore – pour d'autres oreilles, d'autres écoutant.es – serait tout aussi valable. Ce sont deux formes – et là encore, rien n'est semblable mais tout dit, tout parle la même langue. Une langue qui s'adapte – à qui lui répond, au lieu où elle sonne.
La pochette, vous aurez sans doute remarqué, peut se retourner sans se retrouver dans le « mauvais » sens. Un autre visage apparaît alors, une autre expression. Rien, pourtant, ne se dissocie – l'image reste entière, le renversement ne révèle aucune tromperie, mensonge, duperie à redresser. Elle révèle d'autres détails – une autre perspective. Elle ne dissocie pas – comme ce disque ne dissocie pas, ne rompt pas la musique dont elle s'empare, sous ses dehors tout en brisées. Elle reformule – mais tout autant qu'elle continue. Elle danse dans ta tête – c'est à dire qu'elle agit, tout de suite, sur le principe moteur.
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- jacques d. › Envoyez un message privé àjacques d.
J'ai toujours écouté les disques d'Ornette Coleman comme des collections, des recueils de mélodies imparables, voire de musiques de ballets (à danser), la chorale de Prince Street s'en donnant à cœur joie sur "Friends and Neighbors" ; Asha Putli s'y collera à son tour sur "Science Fiction", Webster Armstrong sur "Broken Shadows", un peu de "slam-rap" sur "Tone Dialing" (sans parler de sa participation au disque de Jayne Cortez, son ex-épouse). Coltrane, surtout vers la fin, n'était guère dansant.
- Coltranophile › Envoyez un message privé àColtranophile
"Chappaqua..." est un disque parmi ses plus exigeants. Je suis pas vraiment du genre facile à épuiser en la matière. Mais j'ai du en causer, je l'écoute que quand je suis vraiment en forme pour une "avalanche". Ornette bouffe littéralement le disque. Sur le "Naked Lunch", il est en mode conciliant si l'on veut et se fond dans le paysage. Et je trouve que ça marche assez bien. C'est clairement pas le disque que je recommanderais en premier pour connaitre le bonhomme.
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- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Oui, Midnight Sunrise a été enregistré au Maroc en 1973... Et oui, post-80, les sorties peuvent être assez espacées (hors rééditions pas toujours clairement identifiées comme telles, les live souvent pas datés clairement...). Mais voilà, de Science Fiction à Of Human Feelings au moins, je trouve que ça vaut le coup de s'y risquer - au-delà de sa période "culturelle ment reconnue", quoi, des disques "historiques" acoustiques. Même, j'ajoute la Chapaqqa Suite, orchestrale, un peu "mythique" mais je crois pas tant que ça écoutée ! (Et la B.O. du Naked Lunch de Cronenberg, signée Howard Shore mais où on le reconnaît bien).
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- Coltranophile › Envoyez un message privé àColtranophile
"Body Meta" est, d'après mes souvenirs, tiré de la même séance que ce disque, hormis "Midnight Sunrise", enregistré bien avant, je crois. On a ici la première mouture de Prime Time. Le thème donnant lieu aux deux variations est celui de "School Work" (Science-Fiction). À partir des années 80, la discographie d'Ornette est assez peu fournie. J'y reviens assez peu, pour être honnête. "In All Languages" est sans doute celui qui tourne toujours le plus, de cette période (il y a une face "Prime Time, d'ailleurs).
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- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
@jacques d. : oui, ceux que vous citez arriveront ici tôt ou tard, puisqu'ils y ont très nettement leur place ! J'étais d'ailleurs persuadé que Proggy avait déjà chroniqué il y a longtemps Of Human Feelings... Eh bien non ! Je l'ajoute donc à ma liste...
@Gouzi : eh bien celui-là, et tous ceux de cette période funky électrique, ça peut être une bonne manière de relativiser cette idée de Coleman comme musicien "abstrait" ! Non pas que sa musique de cette période cesse d'être un tant soit peu "cérébrale" mais le rythme, aussi complexe soit-il, est vraiment solide, saillant, la dimension physique du truc ressort vraiment autrement que sur ses disques de l'époque post-bop (les premiers, généralement les plus "connus"). En exagérant un peu mais pas tant, tu pourrais presque te dire "tiens, je be connaissais pas ce Primus là", dans les premiers instants d'une écoute "à l'aveugle" de celui-ci !
Et après encore, il y a toute la période Prime Time (groupe avec qui il jouera jusqu'à la fin il me semble), que je trouve souvent plus difficile à appréhender, beaucoup pour des questions de son, de production, des tentatives de "modernisme appliqué" qui ne prennent pas toujours super bien - je parlais hier su son funk-eighties-robotique sur Virgin Beauty, qui ne lui va pas toujours très bien à mon sens... Plus tard, il y aura des essais orientés davantage hip-hop, dont certaines sonneront finalement plus comme une sorte d'acid-jazz bizarroïde qu'autre chose, de mémoire (Tone Dialing et ceux autour, ce ne sont pas ceux que j'écoute le plus souvent, nettement)...
Cependant là aussi, pour la dimension expé, je trouve que tout ça a sa place ici - même incontestablemt, y compris ceux qui à mon sens tombent un peu à côté du but apparent, affiché.
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