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Hubert-Félix Thiéfaine › ...tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir...
- 1978 • Disques Festival FLD 684 • 1 LP 33 tours
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Membre | Note | Date |
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gregdu62 | samedi 12 octobre 2024 - 21:06 | |
Olivista73 | jeudi 3 octobre 2024 - 18:45 | |
nicola | mardi 1 octobre 2024 - 19:39 | |
Raven | mardi 1 octobre 2024 - 18:29 |
lp • 11 titres • 37:25 min
- 1L'Ascenseur de 22 h 43 (Partie 1)
- 2La Fin du Saint-Empire romain germanique
- 3Je t'en remets au vent
- 4La Maison Borniol
- 5La Cancoillotte
- 6L'Ascenseur de 22 h 43 (Partie 2)
- 7Première descente aux Enfers par la face Nord
- 822 Mai
- 9La Dèche, le twist et le reste
- 10La Fille du coupeur de joints
- 11Le Chant du Fou
informations
line up
Gilles Küsmérück (claviers, violon, mandoline, banjo, guitare 12 cordes), Jean-Pierre Robert (guitares), Jean-Paul Simonin (batterie, percussions, trompette), Hubert-Félix Thiéfaine (chant, guitares), Tony Carbonare (basse, psaltérion, claviers, mandole)
chronique
- machin truc bidule
Deux doigts dans la prise. Les pieds au ciel. Les pompes sont rigolotes ? Plus loin, elles seront funèbres... Entre temps on sera passés par prés et asiles, par couloirs et portes mentaux. Par le pastoral gaudriolesque, le futur fou-triste vu depuis le trou du cul des années Giscard. Menés par le bout du tympan par un chanteur qui ne ressemble vraiment à aucun autre. Dès la chansonnette louchetingue "L'Ascenseur de 22h43", il y a tout le jeune Thiéfaine - pas si jeune d'ailleurs, car il a déjà pas mal bourlingué depuis 68, ce jurassien qui arrive à sa trentaine. Ce chant de guingois, sans queue ni tête-à-claques, cette absurde fétichisme des nombres, cette légèreté apparente, baguenaudeuse, ces paroles fort alambiquées. Cette forme d'autisme agglomérateur, qui va contaminer du monde, mais pas tout de suite. Et puis cet écho d'angoisse, incarné par ces synthétiseurs prolétaires hantés, touches subtilement SF sur une folk dégingandée, tissant en douce ces ambiances d'anticipation dystopique-et-pic-et-colégram, poussées plus loin sur la partie 2, qui préfigure le Terry Gilliam de Brazil. Ou pas loin... Non, même après un gros bout d'années 70 à voir pousser de la musique bizarre un peu partout (kraut, zeuhl, rock en opposition et compagnie), même pour les rares ayant croisés les déjà déjantés Machin, la Machine n'avait pas prévu l'arrivée de ce curieux olibrius, qui ne s'embarrasse pas trop avec les conventions. "Liberté, liberté, Li, ber, té", scande-t-il sur "Première descente aux enfers par la face Nord". Parce qu'il est libre comme son prénom, le Hubert-Félix.
Parce que c'est vraiment n'importe quoi, mais c'est quelque chose, ce premier Thiéfaine. De l'idiosyncrasie en barre brute. De la zique de traviole mais qui veut marcher loin, pas qu'pour les Bots-Arts, d'abord pour les cerveaux qui ont laissé porte et fenêtres ouvertes, les auditeurs curieux de disques où rien ne se passe comme prévu... où peut-être rien n'est vraiment prévu, en-dehors d'un cadavre exquis griffonné en solitaire, mais quelque chose se forme dans l'onirisme et cette campagne des petites montagnes. Une sorte de pantomime fantastico-rurale gratinée, qui sent la sapinette artisanale et les aliens qui sont bien du coin, évoque dans ses moments de flottement Passe Montagne de Stévenin, sorti la même année et filmé pas bien loin. Un foutoir à images étranges 100% terroir. Son album le plus sauvage. Son plus foisonnant peut-être, aussi, déjà truffé d'allusions littéraires, et totalement décomplexé du surréalisme. Où la poésie se confond avec la farce, l'enquiquineur avec l'ambiance, l'hurluberlu avec l'hallucination... Où tout se veut élixir d'anomalies.
Et puis il y a son accent vieux franc-comtois crânement exagéré, qui en laissera plus d'un dubitatif et fait tout le sel de la fameuse Cancoillotte, ce fromage fondu miraculeux qui me donnait enfant la sensation d'enfin pouvoir boire la colle vinylique Cléopâtre. La can-can-cancoillotte, le titre le plus léger de HFT, celui que la plupart des françoués ont retenu de cet album avec la bucolique "Fille du coupeur de joints" - un morceau magique quoi qu'on en dise, libre comme l'air, et plein de mélancolie aussi mine de rien ! Or, aussi agréables soient ces deux morceaux populaires, ils sont loin de représenter un album inracontable : Tout Corps est ce périple fragmenté et surréaliste, démarrant de façon éthylonirique par cette intro malaisante, donc, où Hub' chante comme s'il allait se casser la gueule, sur des paroles qui causent d'ascenseur, mais pas que. Puis qui s'enchaîne dans un dédale d'images en jachères et cavalcades débiles, avec des passages dans des zones magiques que personne ne semble avoir visitées avant. Inter-zone jurassienne, passerelles et ponts (pas plus haut qu'les ailes, 'tention !), émerveillements fugaces, syndrome de Gilles de la Pirouette dans la verdure. Absinthe de contrebande au milieu des pins coupés, des maisons austères du pays. Drôlerie inquiète.
Un album indissociable du groupe de folkeux tarés Machin et des ambiances campagnardes, qui place d'emblée Thiéfaine comme un étrange spécimen sur l'échiquier "chanson française", un gusse qui va être l'objet d'un culte underground pendant de longues années. Sa poésie à la complexité rimbaldienne y est déjà mûre, et foisonnante, même si parasitée par des couillonnades bien perchées, qui ont plus ou moins bien vieilli. Mais le garçon est lucide : "je fabrique des chansons qui sont invendables" chante-t-il dans un morceau déprimé au piano, qui vous tombe dessus sans prévenir comme un vieux spleen de Ferré. Pendant que Bashung se cherche encore, Thiéfaine se perd volontairement. Un peu comme Manset ou Gainsbourg, même si vraisemblablement moins obsésé par l'idée de pondre son magnum opus, Thiéfaine l'anar-OVNI est de ces poètes qui s'accommodent de la chanson, format carcéral qui lui permet quand même de placer quelque beaux carreaux. On sent que mille idées lui traversent la caboche, mille idées qu'un seul album ne suffira pas à contenir ("y a 14000 personnages dans chaque individu, et y aura pas le temps de jouer les 14000 avant de mourir", comme il le dira dans un vieil entretien). Mais HFT prouve qu'il sait faire dans la simplicité aussi, au creux de sa vallée barjote : la très jolie et douce "Je t'en remets au vent", plus traditionnelle, prouve que Hubert-Félix n'a pas attendu les rides et la reconnaissance des médias pour faire de belles chansons voix-guitare en toute sobriété.
Machin préparent un chouia le terrain aux futurs disques "zonards" de Thiéfaine (Dernière Balises / Soleil / Alambic), dans deux-trois passages plus électriques - notamment la fantastique "22 mai" digne d'un Bue Öyster Cult à la française - mais l'impression globale reste celle d'un album de folkeux parti en vrille, avec des chansons comme des mini-films audio quasi-improvisés, poético-foireux, poético-géniaux. Forts contrastes, souvent sans paliers de décompression. Quelques-uns de ses plus beaux morceaux y figurent, par exemple "La maison Borniol", aussi tendrement morbide que cinématographique, avec une ambiance passant d'une sorte de giallo franchouillard à un rock de loubard en camisole, inspirée par de macabres visions... Thiéfaine est déjà un chanteur trouble, un pourvoyeur de visions hors-normes, aussi exaspérant qu'attachant, 100% garanti "objet musical non identifié". Un disque à la fois foutraque et gracieux, abscons et fascinant, où les numéros de barjot sont une façon de pudeur, pour retenir l'émotion dans la pénombre et distiller la beauté au compte-goutte. Culte !
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