Jimi Hendrix › Live at Woodstock

Dans cinq mille ans, la prestation de Hendrix à Woodstock sera un récit cosmogonique. Réfugiés dans les carcasses des data centers, les rares homo sapiens réunis autour d’un grand feu de silicium écouteront l’Aîné leur raconter le mythe, le Grand Conte de l’Aigle blanc au visage noir qui fit pleuvoir le feu, trembler la Terre et donna la Musique aux hommes. La grande dysharmonie fondatrice, l’apocalypse révélatrice qui leva le voile d’ignorance.

Chef d’œuvre à l’imparfait du subjectif, ce concert a tout pour lui : les contextes, du festival et de la carrière de Hendrix, les images, le son. D’autres concerts peuvent prétendre au titre suprême, Royal Albert Hall 1969 ou Monterey 1967, mais il n’y a que Woodstock pour révéler la véritable nature d’un musicien capable de délivrer une performance historique malgré un groupe qui avait à peine répété et dont la moitié des membres ne servaient à rien. Les deux premiers tiers du concert sont de bonne facture, à part Foxey Lady entaché par des soucis techniques. Red House et Spanish Castle Magic sont superbes et même les nouveaux titres et jams approximatifs sont agréables. Et encore faut-il se souvenir que Larry Lee a été bien effacé (pour le meilleur), ses solos ainsi que les morceaux chantés par lui.

L’histoire s’ouvre à l’heure d’écoute. Peut-être conscient de la faiblesse du groupe qui l’accompagne, Hendrix prend les choses en main pour ouvrir l’un des sommets des musiques amplifiées. Un très long et superbe Voodoo Child fait monter la transe, le feedback qui remonte le long de l’échine et voilà qu’explose le Star Spangled Banner. Entends-tu les cris, les sifflements, les rafales, les détonations ? La guitare devient un instrument de châtiment qui renvoie Eruption aux oubliettes de l’histoire de la six-cordes. Qui d’autre a poussé la guitare dans de tels retranchements avec si peu de moyens ? Paco ! Django ! C’est peu, très peu. S’enchaîne la meilleure version de Purple Haze puis cette merveille de Woodstock Improvisation lié à Villanova Junction. Après le sommet de bruit et d’intensité, Hendrix nous rappelle son toucher délicat, sa science des progressions d’accords. Comme pour nous saluer, la clope après l’amour : Hey Joe, confortable, classique. Il faudrait que j’invente des mots qui ne sont pas dans le dico mais quelques synonymes suffiront : perfection, excellence, merveille, couronnement, parachèvement, summum, sommet, transcendance, absolu. Hendrix, santo subito !