James Ferraro › Far Side Virtual

Bienvenu dans un monde nouveau. Un monde de possibilités infinies offerte par l’avènement de la nouvelle révolution technologique. Designée par nos ingénieurs pour vous offrir une expérience client inoubliable, elle repense la relation même au réel, vous rapproche du monde entier en quelques clics, la réalité, toute la réalité s’offre à vous, dans une nouvelle dimension augmentée qui… oh putain nan j’y arrive pas. On le sait que le "nouveau continent numérique" était faisandé. Utopie virtuelle toute nulle, Deuxième Monde du cul, la Sillicon Valley n’a réussi a accoucher que d’une culture digne de la Cogip, juste, avec plus d’open-space et de Starbucks, en face du bureau du happiness manager. Sous la surface lisse des écrans tactiles pleines de traces de doigts, les composants de l’exploitation. Derrière les logos des multinationales bienveillantes qui font faire des bonds de géants à l’humanité grâce au "génie" de leur créateur-gourou, de l’enfumage de bas-étage et des "innovations" toujours plus inutiles et couteuses, mais qui rapportent très très gros, toujours au mêmes.

L’utopie numérique est la plus grande fumisterie du capitalisme. Pourtant on y a cru. Il y a eu ce moment de candeur, de naïveté, de consumérisme béat. Oh, que n’être qu’un personnage des Sims et le bonheur lobotomisé serait à portée. Avec « Far Side Virtual », James Ferraro, déjà familier d’une pop hypnagogique nourrie aux sirènes de l’illusion capitalistique, fait comme la bande-originale rêvée et retrospective de ce moment où tous les possibles, même les plus grotesques, émergeaient de l’océan numérique. Où Windows Vista faisait office de fantasme. Où l’iPad changeait littéralement la vie. Où Starbucks, encore lui, proposait une expérience client inoubliable. Quoi, encore ? Coincé dans la boucle. Dans un piège. Un piège d’accessibilité totale. « Far Side Virtual » est un paysage sonore effrayant, un soundscape tout en MIDI, tout en surface, car le capitalisme du logo ne se vit qu’en surface. Il n’est qu’expérience publicitaire. De mélodies follement attractives puisées dans les années quatre-vingt les plus cheesy, les années matricielles. De sonorités cheap de musique de lobby, d’annonces de hustlers old-school policés par les communicants, de mini-épiques électro-prog de spot de pubs. Sans profondeur aucune, un son produit pour des sonneries de téléphone. Se faire sonner comme des valets par les milles et unes sollicitations à consommer. Activez les notifications, laissez-vous bercer.

« Far Side Virtual » est profondément laid. C’est le son de la ville augmentée des bruits de la science ultra-libérale, qui voudrait racoler mais qui n’a pas le moindre goût, sinon le pire. « Far Side Virtual » est profondément familier et donc confortable. Le confort de l’efficacité. Cheap mais opérationnel. Le vulgaire sans outrance. Le bizarrement séduisant dans son ridicule assumé. Effet doudou comme un vieux générique de bulletin météo d’enfance, arnaque de faux forain de fête à neuneu factice. « Far Side Virtual » c’est l’utopie propre et cauchemardesque à mettre en fond sonore pour lire et relire No Logo de Naomi Klein. Ses textures MIDI magnifiquement nazes donnent envie de casser des trucs. Mais aussi de se laisser couler dedans, tout doucement, comme on écoute une de ces vieille cassettes audio de relaxation. Entrecoupée d’annonces publicitaires. « Far Side Virtual », pour une expérience client inoubliable. Avant d’aller vomir plus loin.