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A.R. Kane › 69

cd • 10 titres • 40:28 min

  • 1Crazy Blue3:26
  • 2Suicide Kiss3:36
  • 3Baby Milk Snatcher3:17
  • 4Scab3:25
  • 5Sulliday6:33
  • 6Dizzy3:47
  • 7Sperm Whale Trip Over4:40
  • 8The Sun Falls Into the Sea5:46
  • 9The Madonna Is With Child5:46
  • 10Spanish Quay2:07

informations

line up

Alex Ayuli, Rudy Tambala

Musiciens additionnels : Maggie Tambala (chœurs sur Crazy Blue), Ray Shulman (basse sur Crazy Blue et Sperm Whale Over Trip), Russell Smith (basse sur Baby Milk Snatcher), Billy McGhee (contrebasse sur Dizzy), Stephen Benjamin (clarinette sur The Sun Falls Into the Sea)

chronique

Quelle drôle d'ambiance. Tout est lointain et en même temps, tout est comme en gros plan – dans nos faces, contre nos yeux, dans nos pattes pour nous faire trébucher. C'est zoomé, avant/arrière, bloqué en un bout ou l'autre de cette course là, l'image immense et plaquée devant à nous en faire loucher, tout à la fois. Tout enveloppe comme dans un hammam – mais soudain, mais simultanément, c'est glacé jusqu'au cœur.

A.R. Kane – les initiales sont celles des prénoms respectifs des membres du duo ; mais je n'ai jamais trop cru que c'était un hasard, si ça disait « arcane », ce nom – auraient été parfaitement à leur place, certes, chez 4AD, avec cet album ; en plein dedans, même. Guitares shoegaze, voix rêveuses, brumes et lignes claires. Mais A.R. Kane, aussi, sont complètement ailleurs – loin, vraiment très loin. Très haut, perchés, partis. Enterrés profond, enfouis dans une espèce de réclusion. Parfaitement pop, dreampop, si on veut – presque comme une miniature de la chose, une poignée de scénettes, sur ce disque, rassemblées là aux yeux de tous et toutes, en évidence. Totalement hors-genre, l'instant d'après, au détour, au défaut (soigneusement taillé) de l'une ou l'autre pièce. On s'y pose, on s'alanguit... On s'y enfonce. Il y a danger – ça sent l'éther au sens propre, médical, le chloroforme, les yeux qui vous guettent en prenant comme visée le manche du scalpel, lame triangulaire pointée vers vous, choisissant quel bout de votre psyché, quel organe ceux qui observent vont vous prélever pour l'ajouter à l'ensemble, à l’œuvre, à l'ouvrage. C'est bizarrement jazz, par instant – un jazz synthétisé, du free cryogénisé, des batteries démantibulées et remontées étroitement serrées dans les patterns raidis de la boîte à rythme. Ces guitares qui grincent et chantent... On ne pense pas à grand-chose d'autre, qui pourrait faire bouée à quoi se raccrocher. Ça cause pas mal de la mer, tiens, ces titres – de l'onde où l'on marche jusqu'à submersion, comme une Virginia Wolf, où l'on flotte comme un Achab à la poursuite de son cachalot blanc, comme Stefano, dans la nouvelle de Busati, fuyant le squale, ce K. qu'on lui a enseigné de craindre et d'éviter, sans savoir ce qu'il porte, lui apporte... On pense peut-être à The Durutti Column – mais aussi bien à This Mortal Coil ou Tim Buckley (versant Starsailor, alors), à une souche de Tuxedomoon qui aurait poussé en pleine Angleterre post-industrielle. On sourit en se rappelant que ces mecs sont les mêmes qui sous un autre nom, avec d'autres complices – sous alias M/A/R/S/S – avaient pondu l'année d'avant un improbable tube dance fait de dizaines de samples collés, montés, articulés (Pump On the Volume). On se dit que c'est au fond cohérent, ces deux « facettes » – que ce sont deux manières de faire des composites, des créatures de Frankenstein où l'on aurait gommé les cicatrices, les coutures, les traces. Je lis que Baby Milk Snatcher – en même temps que de Margaret Thatcher – parlerait de fellation. Possible... Encore un drôle de rapprochement (qui tient pas mal de l'horrifique plutôt que de l'onirique, si on me demande, pour ma part). Mais ici, tout est possible.

Quel bel objet, une fois qu'on y est passé, qu'on s'y pose, qu'on en ressort – entièrement rafraîchi autant qu'interloqué, songeant à la fois prochaine où l'on s'en baignera, encore. Avec son calypso-coldwave, sa nowave pour dancefloors sous ecsta, ses paysages filtrés à travers tous leurs bizarres trips, détaillés maniaquement, jetés comme ça sans mesure, sans savoir dans quel état ça devrait retomber, sur ou dans quelles têtes, arrêté par quels corps. Il s'agit de ça, peut-être bien – sans doute, exactement. Faire corps – faire des corps, y aller. En sortir, apparier, fondre plusieurs en un et l'opération inverse. Faire du bruit en guise de forme. Dessiner pour les ouvrir des formes qui se bouclent. Embarquer sur un « spanish quay » – depuis n'importe où, port véritable ou fond de contre-allée, haut d'une tour en pleine terre ou phare planqué au bout d'une contrée oubliée, pour appeler une foule qui finira bien, une heure ou l'autre, par venir contempler les mouvements de la marée.

Très bon
      
Publiée le mardi 5 mars 2024

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    À noter d'ailleurs que le 45t Lolita, de l'année d'avant, était bel et bien sorti sur 4AD, lui... Et aussi que le groupe, apparemment, s'est carrément réclamé de l'invention du terme "dreampop", à un moment donné.

    Je ne connais pas du tout le groupe/le disque que tu cites, sinon, Sartoris... J'irai checker ça !

    Message édité le 06-03-2024 à 09:35 par dioneo

    Note donnée au disque :       
    Sartoris Envoyez un message privé àSartoris

    Croiser dans le même texte Thatcher, Buzzati, M/A/R/R/S, no-wave, jazz, Calypso, fellation et shoegaze, c'est aussi un hommage au label 4AD. A la lecture, j'ai fait un lien avec l'ablum "Blush", de Bows, sorti 11 ans plus tard, peut-être moins déroutant mais tout aussi syncrétique (Drum 'n Bass, Shoegaze, ambient avec des textes particulier).

    Shelleyan Envoyez un message privé àShelleyan
    avatar

    Ouf, je suis heureux que tu en aies parlé car je ne savais pas comment empoigner l'angle. Je possède une double compilation et effectivement, déroutant est le mot...

    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Merci... Oui, c'est ça, j'ai essayé de dire à quel point ce disque est déroutant - c'est le mot - et en même temps si facile à écouter... À vrai dire je l'ai écrite très vite, sans l'avoir planifiée, cette chro, même si ça faisait quelque temps que je m'étais dit "tiens, faudra en causer un jour". Presque en pilote auto, la rédaction de celle-là... Le seul moyen que j'ai trouvé d'en causer - de ce truc si singulier.

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    Richard Envoyez un message privé àRichard

    Quelle très belle idée de mettre en lumière ces Anglais. Fondu de shoegaze, je les avais découverts via leur superbe titre précurseur 'Haunting' datant de 1986 et tellement enivrant. Découvrant ensuite leur discographie, le moins que l'on puisse dire, à l'image de cet album, c'est quelle est bien déroutante. Tes mots le disent bien Dioneo, ou je les comprends ainsi, 69 est difficile à cerner. La seule ligne directrice semble être cette liberté totale. Un grand album. Pas de ceux que j'écoute régulièrement mais qui secoue à chaque nouvelle écoute.

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