Chaque titre de ce disque est un nom d'animal. Toutes les parties sont gueulées – pas seulement la voix, je veux dire. Tout. Hurlements de bestioles, aussi ? Braillements d'humains, plutôt, et d'instruments, d'électronique qui charge le tout, le déforme pour que ce soit plus moche, plus tordu plus rêche – fait tout empirer pour que ça devienne meilleur, que ça devienne bon. Le son artificiel, déjà... Une version brute, rudimentaire, premier pas sur la sale dalle – un autre disque, d'eux, s'appellera Béton mais c'est déjà là, cette consistance guère accueillante de la surface qui nous reçoit, absorbe bien peu le choc. Ce sans-titre, au départ, était conçu comme une démo. C'est bien de n'y avoir rien changé, avant de le foutre en circulation, de le lâcher, comme on dit, « dans la nature ».

Noise-rock baigné de crasse, les titres souvent courts, tous compacts – la moyenne plafonne autour des une trente, deux minutes – mais tout est embrouillé, inextricable, comme autant de pelotes de laine de verre, de paille de fer, d'autres matériaux qu'il est déconseillé de manipuler sans gants de manute. Tout est dans l'excès, décidément, poussé dans le rouge ou dans le gris, dans l'embrouillamini qui tourne au gribouillis sonore, parfois – c'est un risque (assumé, il me semble, ici, pleinement). Rien là-dedans qui sente le trop-plein de testostérone, la parade, la volonté d'impressionner, cependant. Oui, tout crie, dans ce disque, tout est trop fort pour qu'on ne se prenne pas le truc en pleine face, qu'on n'ait pas l'impression qu'ils nous déversent pêle-mêle ce qui devait vite sortir. Mais aussi, mais pourtant, il y a là-dedans cette nuance d'angoisse, d'urgence, moins d'agression que de panique - le bruit se dresse surtout contre ça. « Ça », je veux dire : la peur. Ordinaire, lancinante, continuelle, avec ou sans prétexte, qui menace la santé mentale, la possibilité d'une vraie stabilité pragmatique. La hantise dans les rêves, les songeries, les décisions qu'il faut bien prendre. Elle ronge ? Ils la chopent à pleines mains, décident de la cramer... Mais attention, là encore : sans affirmer qu'ils seront à coup sûr, au bout, les plus forts, qu'ils la laisseront pour toujours en arrière. On la sent qui talonne, mais enfin... Un pas à peine, au-delà de son emprise, est-ce que ce ne serait pas, déjà, l'occasion d'en faire une fête ?

Tous les titres de ce disque sont pure débauche – dépense non comptée, non-calculée, non-rationnée. Ils se revêtent des plumes, fourrures, écailles, des animaux cités, qui servent d'intitulés. Ils sentent la bête, oui – qui au moment de se retourner, puisqu'on ne peut rien semer, oublie que la traque est souvent sans issue et... Fonce. Renverse. Attrape. YC-CY chevauchent ce rude, sommaire boucan. Et partent avec – tête baissée, littéralement, pour le gars au micro, ça se vérifie en concert. Ça fait un bien fou, déjà, sur ce début. Ça pourrait à son tour foutre les jetons – il faut, pour ne pas tomber dans ce travers, s'y laisser entièrement aller. Il faut s'y exposer – comme le mannequin démembré, sur la pochette, posé dans sa vitrine désaffectée. On est de chair et d'os et d'autres composés chimiques, nous, biologiques. On n'est pas des carcasses, des debris d'usines, des rebuts de commerces après fermeture définitive. On investit les locaux désertés. On se remet à danser – pour maîtriser la fièvre pendant qu'elle nous saisit.