Afro Jazz › Afrocalypse

S’il y avait eu des NTM-affiliates, Afro Jazz aurait été le Killarmy parisien. Et si « c’est arrivé près d’chez toi » est ton préféré de l’album à tête bleue de 1998, Afro Jazz va te parler. Mais d’abord, il faut jeter un œil plus haut, dans la section line-up. Tu as compris que l’on va avoir affaire à la crème de la production du milieu des années 90. Encore aujourd’hui, je n’ai pas bien saisi comment Afro Jazz a pu se payer Buckwild, Diamond D, Beatminerz et Ol’Dirty Bastard. Être pote de NTM, cela suffit ? Et qui est aux manettes côté français ? DJ Clyde notamment, un Cutkiller moins connu mais qui a eu son rôle à jouer dans les mixtapes, la prod de Paris sous les bombes et l’interface US-FR.

Ne tiendrait-on pas là le meilleur album de rap franco-ricain ? Production noire de noire, du meilleur de New York, avec zéro année de retard, et touches jazz qui tabassent. On pense à Showbiz & A.G., Gravediggaz, Pete Rock, Smif-N-Wessun, Black Moon et cætera et cætera. Les paroles cherchent l’impact plutôt que le fond. Ils n’ont pas la plume du duo Lopes/Morville et les thèmes classiques sont rabâchés : cités, egotrip et « filles », pour le dire gentiment. Je n’ai pas attendu les féministes pour skip Pénélope (Fillon). Stoïque, l’un de ces zozos peut te sortir qu’il n’est « pas le genre de MC qui porte des jeans Pantashop » ou faire rimer ghetto et gâteau. Cela dit, quand ils passent en mode Afro-Saiyan vénère, les MC déploient leurs flows forts de café sur des lyrics qui ne sont jamais aussi justes que lorsqu’elles viennent en soutien syllabique d’un message frontal bourrin mais clair. C’est ce qu’on veut, non ? Des basses profondes, des samples inquiétants et une bande de mecs grimaçants hardcore sur pochette rap-moche. À ce petit jeu, Jaeyez se détache parce qu’il a dû bosser un peu plus ses rimes et, même s’il ne manque pas de naïveté, il sait placer les lignes : « Quand l'écume des grandes villes comme le ressac te fume / On vous réserve une place entre le marteau et l'enclume ». Pas étonnant qu’il ait été l’élu capable de tenir le feat avec NTM, lesquels viennent d’ailleurs tester le brouillon de Seine-Saint-Denis Style.

Je ne dis pas que l’on ne s’emmerde pas un peu par moment, ça reste du rap français. Quand les paroles se veulent plus allégoriques ou subtiles, pour ne pas dire que je n’ai parfois aucune idée du sujet, ça passe à côté. Dans ce cas-là, autant faire n’imp’ avec le n’imp’ Master Ol’Dirty Bastard. Ambiance freestyle sur une boucle de luxe. Mais mon titre préféré reste clairement Parias vs État. « C’est pour ça qu’j’nique le président de l’État français ». Voilà, on y est ! à l’époque, c’était Chirac mais je pense que cela parle encore à quelques-uns aujourd'hui. Afro Jazz sur les ronds-points ! Cette intro, crescendo trompette à la Pete Rock et le beat libérateur me colle les poils à chaque fois. Et peu importe qu’on fasse rimer Godzilla et Emile Zola, je suis convaincu. C’est sûr qu’après, c’est un peu rude de s’envoyer Glou Glou Play malgré la qualité constante de la prod. Bien malin celui qui pourra d’ailleurs distinguer les françaises des américaines avec certitude. Le niveau est haut, tout en haut, aussi haut, haut que le flow de mes mots. Bon, pas tout à fait en l’occurrence. La faiblesse de nombreux refrains est ce qui plombe l’album car des couplets pas très bien écrits seront toujours sauvés par un refrain banger, surtout quand on a la chance d’avoir une telle qualité percussive dans le flow, à la Onyx, avec tout le crew qui back derrière : « Tu recherches des vrais mecs hardcore, viens faire un tour au Nord et tu verras ». Un album parfaitement produit mais trop long, comme d’habitude, qui aurait pu tout exploser avec un peu plus de qualité dans l’écriture mais dont on va extraire quelques titres imparables ; et combien peuvent se vanter d’avoir eu ce quart d’heure de gloire et cette dédicace qui pose tout en huit mots : « This is the Dirt Dog and Afro Jazz » ?