On peut faire des mondes n'importe où – dans une chambre, une simple pièce plus ou moins nue ou pleine. On peut les faire grandir, jouer d'abord puis y penser, revenir, élaborer sans suivre un plan – plus précisément, que l'élaboration devienne le plan et vice-versa, en direct, dans le temps où tout bouge et le met en place, se développe et se fixe. Ça fait des objets qui sont des moments – des moments qui sont de l'ouvrage. On lâche ça au dehors et ça devient encore autre chose – ça se réalise, on réalise. Ça fait des plages qui en sont – de ces fameux mondes.

Geoffroy Pacot – guitariste de La Ruche, membre du collectif L'Engeance, de Dijon – dit avoir d'abord improvisé « de longues textures » sur son instrument ; puis imaginé, superposé d'autres pistes. On pourrait dire, autrement, qu'il tisse. Une étoffe drone, une structure qui est sa matière même, une musique où sont indiscernables ce qui porte, qui construit, et ce qui enveloppe. Des sons-espaces, des sons-volumes au sens étendu de la physique et non seulement de l'acoustique – le volume qu'occupe toute et chaque chose, tout et chaque être dans sa place ; les volume comme places mêmes, et étendue, comme formes et consistances. En résultent ces trois pistes toutes de cordes frottées, pincées, peut-être parfois martelées comme celles d'un cymbalum, d'un dulcimer. S'y entendent les des timbres qui semblent émaner d'un instrument « préparé » – sur quoi la tension des cordes semble modifiée, reconfigurée par des objets que celui qui les joue aurait inséré entre elles et le manche, entre elle et la table. Ce sont peut-être d'autres procédés. S'y entendent des échos, des réverbérations, des sons qui se bouclent et se délitent, se pulvérisent par voie de montage ou de feedback, de placement de l'instrument par rapport à l'ampli – là non-plus rien ne nous est précisé, et c'est très bien comme ça. Quelques samples, aussi, traversent, alimentent le mix – trois, nous disent les notes brèves (de non-pochette, puisque ce disque, apparemment, n'existe pas sur support), tirés d'une banque sonore de la BBC, d'usage libre et public. Un domaine public qui là encore, comme tout le reste ici, devient du personnel, en même temps que du lieu ouvert, ces extraits anonymes s'intégrant et se connectant à nouveau, en quelque chose de nouveau. Si l'on y tient, on dira que c'est « du drone ». Si on en a l'envie, le temps, la fantaisie, on rapprochera ces plage de l'une ou l'autre expérience faite un jour par l'une ou l'autre, l'un ou l'autre dans tel ou tel laboratoire, studio ou meublé, dans ce domaine vaste et flou qu'on nomme musiques concrètes, acousmatiques. En poussant un peu, en ne plaisantant pas tant que ça, je dirais qu'elles sonnent à mon oreille comme l'exercice libre d'une sorte de field-recording – tant encore une fois j'ai l'impression d'y entendre la captation d'un temps donné, d'un laps, d'une humeur et de ses retours, l'image attrapée et remise, reformulée pour mieux la dire, d'états mentaux, sensoriels, le type en question qui tente de saisir ça et de le rendre perceptible. Est-ce réussi, le résultat est-il « fidèle » ? Eh bien : quant à ce deuxième terme, je ne peux pas le savoir, on ne peut – ni vous ni moi n'étions dans sa têtes, ces heures durant ni avant ni après. Quant à la « réussite »... Eh bien en tout cas oui, pour moi : quelque chose ici prend vie, s'installe, nous fait immédiatement entrer sans ensuite nous lasser, nous lâcher dans un vide que ça n'occuperait plus. Ça pourrait être ténu – mais non, au contraire, ça continue de devenir, de bouger en 3D, bien moins ténu qu'un simple fil tendu où s'accrocheraient des bandes de spectre.

On peut citer Céline – Pacot emprunte le titre de la première plage, Noirceur-sur-la-Lys, au Voyage... – et n'évoquer rein qui sonne sinistre référence, n'invoquer aucun massacre, exhaler d'autres bouffées, d'une autre obscurité, où l'on se sentirait bien, pensif et discernant moins loin mais coupé de rien autour. On peut se demander comment seraient les abois de ces Chiens du Soleil. On peut voir l'Horizon dans l'Âtre et songer que ce qui ce consume nous invite à rester jusqu'à ce que l'heure soit celle de retourner dehors.