Il y a de ces chroniques qui vous entravent parfois des années, des disques dont on veut parler mais pour lesquels on ne trouve pas les mots, pour lesquels on s’y reprend à maintes fois en effaçant tout à chaque fois. L’avantage est qu’on peut toujours s’en servir au moins pour inspirer le départ de la chronique, souvent l’instant le plus délicat de la rédaction. Dans le cas de ce disque, il y a un autre os, le morceau ‘The devil’s face’ situé à mi-parcours qui m’obsède à la folie depuis 33 ans. Non qu’il dépareille sur l’album mais sa mélancolie nostalgique est quand même particulière; je ne totalise pas le nombre de fois où je l’ai écouté en mode ‘repeat’ parfois pendant plus d’une heure en négligeant les autres pièces. ‘A suite of aural pictures’ sonne typique de la fin des 80’s/ début des 90’s au sens noble du terme lorsque des groupes issus de la scène cold wave y mêlaient un goût de l’expérimentation s’inspirant des musiques dites ethniques. Le duo construit sa musique d’une manière fluide jamais fluide. Le rythme en constitue l’axe, inspiration ethnique travaillée à la boîte à rythmes ou aux percussions électroniques, l’accompagnement est constitué de basses slapées (ou fretless, comme sur ‘Ashes over hands’), de collages de samples ou de nappes de clavier mais toujours dans une construction hachée. Rien d’inconfortable, les Suisse ne cherchent pas les dissymétries, l’inconfort mais les choix sonores ne sont pas faciles pour autant, l’écoulement de la rythmique ne vise pas l’écoulement continu, respectant les silences, les coups marqués des percussions. Les mélodies sont fortes mais difficiles à fredonner, un peu comme le matin quand on a un rêve clairement en tête mais qu’on ne parvient pas l’exprimer par des mots tant les impressions sont étranges. Le chant est excellent, le vocaliste a un timbre profond, légèrement tendu (évoquant le jeune Dave Gahan), qui sied parfaitement pour la touche inquiète, triste du cd. Parfois le ton est plus rapide (‘Deviation’) évoquant des influences EBM telles qu’on les trouvait chez Front 242, Borghesia… Et puis, il y a ‘The devils’ face’, la chanson la plus accessible musicalement et pourtant la plus triste. Tout selon moins y est parfait, les nappes, les percussions, les superpositions de chant sur le refrain, les sonorités sélectionnées. Très subjectif comme toujours mais depuis que j’ai écouté ce titre en 1990, il ne m’a pas lâché, son ambiance m’a même inspiré des paroles. Bref. Difficile de situer musicalement cet album si ce n’est à la croisée de l’aspect le plus ethnique des Young Gods ou de Unknownmix, pour mentionner les compatriotes, d’albums-étalons tels que ‘My life in the bush of ghosts’ ou du travail percussif de l’EBM de base avec quelques regards obliques vers l’intérêt de la musique industrielle pour les celles du monde, voir même Depeche Mode. Disque riche, travaillé, sans perdre une accroche faussement pop, relativement intense malgré tout, à l’atmosphère trouble à l’image de sa pochette fort bien réalisée. Je ne suis pas certain d’être parvenu à rendre correctement le climat de ‘A suite of aura pictures’ mais du moins me suis-je libéré de sa chronique… Faites confiance au nom du groupe, au titre de l’album, sa couverture, ils résument tout. La musique est parfois une boîte de Pandore.