In The Nursery › The calling

Collaborer avec des écrivains, démarche somme toute assez naturelle pour des musiciens; l’encre et les notes sont les fiancés maudits de la création, les deux rameaux d’un même sycomore artistique. L’exercice est néanmoins nettement plus difficile qu’il n’y parait. Il serait facile de laisser réciter et de coller quelques nappes et sons derrière, ce qui n’est pas forcément passionnant. Que lire ? Un texte entier ? Vite long. Des extraits ? N’y perd-on pas au change ? Et la musique ? N’est-elle donc qu’un simple accompagnement ? N’a-t-elle pas droit à sa part ? Avec ‘The calling’, In the Nursery, accompagnés de l’écrivain Simon Beckett réussissent l’exercice avec brio en nous proposant un disque parfaitement équilibré et à mon sens, un petit joyau de délicatesse sombre. Les compositeurs ont travaillé de concert avec l’homme de lettre pour élaborer une bande-son pour quatre ouvrages de sa série David Hunter. La première qualité et non des moindre, c’est l’équilibre parfait entre la musique et la lecture. La première est clairement maîtresse du disque, les jumeaux instaurent une atmosphère sombre, légèrement inquiétante sans être glauque évoquant volontiers la nature: petite nappe, notes de piano lourdes mais à un tempo trop rapide pour sonner véritablement funèbre... D’ailleurs un rythme de batterie va progressivement s’installer, le morceau prend une touche quasiment nocturne, avec évocation de courants comme des traînées dans le ciel. Cette atmosphère dense de nuit est confirmée par les sonorités de la deuxième pièce sur laquelle Simon Beckett lit pour la première fois. Il y est question de décomposition de cadavre (son héros David Hunter est anthropologue) baptisée ‘metamorphosis’ donnant une poésie à un processus assez glauque et répugnant. Les bruissement d’animaux, les notes de basse comme un coeur ajoutent une touche marécageuse à l’obscurité de la pièce suivante. Nouvelle lecture. Une fois encore parfaitement adaptée tant niveau des textes que du moment. L’ossature de l’album est donc principalement ambient, un travail remarquable de doigté, d’équilibre des forces, de sélection des sonorités (le Field Recording y est magnifique de subtilité évocatrice). Il est vite possible de s’ennuyer sur ce type de travaux mais rien de tout cela ici, les jumeaux parviennent à développer une atmosphère cohérente, mystique quasiment, qu’ils varient par quelques percussions (batterie, grosse caisse, bruits), quelques accords de piano et la récitation de l’auteur qui vient toujours fort à propos ponctuer d’une touche humaine la réflexion induite par la musique. Promenez-vous donc avec ‘The calling’ au casque de nuit, si possible étoilée, vous m’en direz des nouvelles. L’obscurité développée ne craint pas la clarté, elle remue des sentiments suffisamment profonds. N’étant pas friand de bandes originales et sélectif dans le dark ambient, je craignais de me frotter aux essais du genre par le duo. Me voilà moins timoré, ce disque est un joyau de savoir-faire, intense, varié, une véritable expérience des sens comme doit l’être tout disque dans ce créneau. Au final, on se sent purifié, léger mais comme orphelin de quelque chose, un peu comme Irène Jacob fond soudainement en larmes alors que son sosie qu’elle ne connaît pas meurt subitement à des centaines de kilomètres de là dans ‘La Double Vie des Véronique’.