Bill Laswell et John Zorn se connaissent depuis de nombreuses années et les deux musiciens partagent ces caractéristiques d'être extrêmement prolifiques et créatifs dans des univers éclectiques. Il n'y a qu'à voir la liste de leurs discographies et apparitions respectives dans les disques que nous avons chroniqués. Ils font partie des piliers de la liste des artistes dont nous parlons. Ils ont collaborés à de très nombreuses reprises, notamment au sein de Painkiller mais aussi dans de nombreux albums rassemblant d'autres musiciens. Mais ce n'est qu'en 2022 que sort leur premier album en duo, ce "The cleansing". Ce disque a été réalisé à la sortie du confinement lié à la Covid. Bill et John se sont retrouvés en studio une journée en ressortant leurs instruments pour la première fois depuis des mois pour créer ces 45 minutes de musique. Il s'agit d'un album entièrement improvisé, enregistré en une prise. On retrouve une ambiance feutrée rappelant celle de Painkiller, notamment sur "Execution ground", avec toujours cette basse ronde et douce qui peut se faire légèrement plus brute avec l'aide de quelques effets de distorsion, donnant cette couleur un peu dub au rendu final. Ce son de basse est caractéristique du style de Laswell, sur lequel John Zorn peut s'exprimer librement avec son saxo alto. Ce qui est particulièrement frappant ici, c'est la complicité entre les deux musiciens. Alors que Zorn a souvent sorti des disques collaboratifs improvisés avec d'autres musiciens où souvent nous avions affaire à des superpositions de parties (un peu trop) hétérogènes, là, on ressent une symbiose, une évolution commune dans les parties des deux musiciens. On ressent cette écoute mutuelle entre eux deux. A aucun moment, je me dis que les musiciens jouent chacun de leur côté. Bien sûr, il s'agit d'improvisations, mais certaines parties donnent l'impression d'avoir été écrites puis interprétées tellement les enchaînements semblent naturels. L'alchimie est présente du début à la fin, avec une atmosphère continue, vraiment noire et limite oppressante, surtout avec les nappes de basses distordues particulièrement bien maîtrisées de Laswell. De son côté, Zorn maltraite son saxo et réussit à en faire sortir des sons improbables, mais tout en retenue. Il n'y a que peu de décrochages brutaux. On est loin d'un disque imbitable sans queue ni tête et bruitiste. Le disque est totalement maîtrisé, jouant sur les atmosphères avec des morceaux variés pouvant passer d'une ambiance jazzy à une ambiance plus expérimentale bruitiste aérienne. Le rendu général est un disque plutôt calme sur lequel on a quelques montées de saxo qui percent gentiment le plafond de dub créé par Laswell sans que ce soit de manière trop agressive ni abrupte. Il s'agit typiquement du genre de disque aventureux qui utilise beaucoup de techniques issus des albums les plus difficiles d'accès de John Zorn mais utilisées ici pour un résultat cohérent et construit, alors qu'il s'agit d'improvisations ! C'est vraiment là qu'on voit toute l'expérience de ces musiciens hors pair. Et comme le dit Bill Laswell, cette session a été pour lui une expérience personnelle intense lui ayant permis de se laver de toutes les toxines liées au confinement forcé, d'où le titre de l'album. "The cleansing" est un excellent disque de deux monstres sacrés de la musique expérimentale new-yorkaise que je ne peux que vous conseiller d'écouter si vous êtes fans des travaux de ces artistes.