John Coltrane › Evenings at the Village Gate

À considérer le verre à moitié vide, la numérisation des archives en tous genres est une plaie : perte du contact avec le matériau, les espaces qui les abritent et les personnes qui les conservent. Néanmoins, alors que l’on s’attend à tout trouver sur internet, il est encore plus savoureux de se rendre aux archives et d’ouvrir ces boîtes inviolées ou presque, inventoriées en surface et qui ne feront peut-être jamais l’objet d’une numérisation. Trop cher, trop compliqué. Avec beaucoup de chance, tu pourras même trouver un enregistrement inédit de John Coltrane à la bibliothèque ; celle de New York, pas de Clermont-Ferrand. Il n’aurait pu tomber mieux : été 1961, le quartet classique se dessine, les horizons se déploient, Dolphy est là, les critiques tordent le nez. Un beau pavé supplémentaire dans la compréhension du cheminement musical du quartet augmenté en cette merveilleuse année. La prise de son, effectuée à des dates inconnues lors d’une résidence d’un mois au Village Gate, n’était pas vouée à être diffusée et moins encore commercialisée. Il est vrai qu’elle est imparfaite même si elle contentera les adorateurs d’Elvin Jones. En revanche, si vous voulez de la basse, voire même un piano bien défini, il faudra repasser car ils devaient se trouver loin du micro. Titre et pochette à l’avenant : ceci est un disque de Coltrane (en gros) avec Dolphy (en petit). Et les autres ? De bonne guerre, les souffleurs eux-mêmes sont beaucoup moins exposés que sur les enregistrements studio, ce qui ne me déplaît pas. Les titres commencent et se terminent parfois de manière très abrupte et les blancs entre les morceaux ne favorisent pas l’immersion. Il aurait pourtant été simple de tricher un peu et de mettre un coup de polish.

Ces concerts baignent dans la période Africa/Brass, enregistré au début de l’été et sur le point de sortir. Là où ce document sonore devient unique, c’est par la présence du seul enregistrement live d’Africa, si je ne m’abuse. Version fidèle à l’original, avec ce long solo de basse, enfin audible grâce à l’accompagnement tout en douceur de Tyner et Jones. Point fort en fermeture, donc, mais aussi en ouverture grâce à la flûte de Dolphy qui, malgré un son lointain, porte magnifiquement la première moitié de My Favorite Things avant que Coltrane ne vienne tronçonner l’ouvrage de fort belle manière. Entre les deux, du classique, dont ce standard guilleret, When the Lights Are Low, sympathiquement malmené par nos deux garnements du soi-disant anti-jazz.

À considérer le verre à moitié plein, je suis donc bien heureux de vivre en un siècle où je peux écouter, avec l’accessibilité du confort moderne, un tel document sonore exhumé par la curiosité et les petites mains d’un homo sapiens qui eut la bonne idée, un jour, d’aller à la bibliothèque.