La funkyness a frappé ces punks là, un jour, c'est sûr, une nuit, que sais-je – j'ignore où, j'ignore comment mais c'est patent. Des punks texans, tiens – comme entre autres les Dicks (avec qui ils partageront un album live « At Raul's Club », avant de sortir le ci-présent premier album studio). La conscience, aussi, de tout ce qui ne tournait pas rond chez eux – dans leur État, aux États Unis plus largement, dans le monde, dans leurs vies à Austin, a dû les gifler, cette fois ci ou une autre. Alors les mecs ont lancé un groupe – un des premiers, nous disent les écrits, les annales, de la scène punk-hardcore locale. Avec tout ça, les Big Boys ont dû, à un moment où l'autre, se prendre en plein entendement les incitations et le groove des Minutemen – ou alors c'est un hasard, un coup de synchronie de plus, c'est tout à fait possible, les deux groupes ont semble-t-il commencé à sortir des disques à peu près en même temps, la même année 1980. Toujours est-il qu'on entend comme un cousinage, un lien, en son comme en propos – et pas un mince, si on me demande, rien qui fasse accidentel.

Voilà donc un album qui groove et tape fort. Espace tendu et en même temps sorte de « safe place », où les gars vous invitent à vous poser ou à danser (pas eux – mais nous on peut, dit la chanson) mais sans fermer les yeux sur tout ce qui déconne et déraille autour, tout ce qui fait mal, devrait tomber ou n'avoir jamais surgi, eut lieu. Le groupe joue vite, véloce, le geste, les accents rythmiques, la syncope, nerveux, mais le balancement miraculeusement souple, dans tout ça – une sorte de chaloupe. Le truc cool et « uncool », mécontent mais chaleureux, amical sans morgue, aussi, mais bien campé sur ses positions, prêt à toute rétorque, manifeste d'autonomie – tout est balancé d'emblée sur le sujet, en cinquante-deux secondes, sur le Security qui ouvre l'album (et dont le texte me fait toujours penser à une version mise à jour, recontextualisée, du Ain't Got No, I Got Life de Nina Simone... Je ne jurerais pas, pour ma part, que ce soit un hasard). Voilà donc un disque, au vrai, bien plus varié que pourrait le laisser entendre cette sommaire définition, cette bête étiquette « funk-punk », avec des percées brèves d'un hardcore certes plus connu mais comme encore tout frais, entendu maintenant ; une soudaine couleur presque new-wave, d'un post-punk qu'ailleurs on dirait « cold », sur Complete Control – pas loin non-plus des plages les plus resserrées de Mission of Burma, bien plus au nord et à l'est à la même époque (du côté de Boston, précisément) ; une Identity Crisis dont je me demande encore si c'est une sorte d'hommage ou de clin d’œil au Personality Crisis des New York Dolls (je ne sais pas, je trouve une bizarre connivence d'ambiance entre les deux, formellement assez différentes, pourtant) ; à un moment – sur Spit – il y a même des claps, et c'est magnifique d'aisance et de lucidité, de désenchantement vif, actif, ce morceau (avec Act/Reaction, juste après, dans la même veine, qui remet un petit coup sur le clou, en laissant dépasser la tête pour ne pas l'escamoter).

Le sourire n'est pas amer, même pas fatigué – il est à côté de ça, décidé à autre chose, plutôt qu'au-delà ou en-deçà. Les mots, les notes, sonnent comme autant d'indices tendus, dévoilés le temps de ces courtes plages – ébauches, tessons d'un monde à faire autrement, logique de tract et idées d'artistes mêlées, amenées au même niveau. Ça fait un bien fou, ça file – vingt-six minutes durant, ce qui, on remarquera tout de même au passage, fait presque un marathon, à l'aune des « standards » de ladite scène hardcore-punk (où beaucoup, alors, ne sortaient encore que de courts EP, des 45t/7'' excédant rarement le quart d'heure, quand encore il s'étendaient tant). C'est chouette, cet endroit, on s'y sent bien, on s'y ressource avant de retourner se coltiner le dehors, l'adversité. Tout est bizarrement agencé, astucieusement et un peu à la brut, à la fois, et tout paraît évident tout de suite, pourtant. Ce n'est pas le genre de musique – comme celles d'autres, dans de mêmes parages, pour d'autres variantes de hardcore « expé » (légèrement ou bien plus que ça) – qui vous a « à l'usure ». Elle vous attrape direct, plutôt, par son apparente facilité. Elle vous montre la porte des prisons qu'on se construit – des règles qu'on suit sans réfléchir, données à la naissance, qui sont le mode d'emploi de cet enfermement. Elle vous lâche que vous n'êtes pas cette projection sur les écrans (à l'époque, surtout celui de la télé... C'était mieux ? Hmmm, bon, hein). Puis ils envoient, aussi : « On ne veut pas de tes conseils », sans que ça sonne autrement que comme un autre partage.