Les recrues de choix pour les sectes, ce sont les gens pas sûrs d’eux et ceux qui le sont trop. Les grandes gueules rebelles et bravaches sont paradoxalement parfois les premières à retourner leur veste. Scritti Politti semblaient compter parmi les soldats du post punk les plus radicaux. Comme beaucoup d’acteurs du style, Green Gartside était étudiant en art, comme beaucoup, il a vu un concert des Sex Pistols et comme beaucoup, il a eu envie de fonder son groupe. Zou, direction Londres et les squats avec un pote d’enfance et un autre étudiant. D’emblée, le trio affirme une approche quasi philosophique de la musique. Si le punk rock a été le déclencheur, il estime pourtant qu’il véhicule trop de clichés que le combo va s’atteler à démonter scrupuleusement à l'image d'un tribunal inquisiteur. Moins de violence, plus de mélodie, de douceur, des allusions claires à Marx, Bakounine, Deleuze et consorts; le nom est d’ailleurs un hommage au communiste italien Antonio Gramsci et ses écrits, même si Gartside a opté pour une tournure plus rock’n’roll (Scritti Polliti au lieu de Scritti Politici). On questionne l’attitude macho des rockers, on privilégie le DIY au delà de tout, on discute politique, philo, sous speed en écoutant du jazz, de la dub, du folk anglais, on décortique les musiques actuelles... La pensée complexe de Gartside fait la part belle au langage dont il veut faire un mécanisme d’oppression. Les paroles ironiques et sérieuses à la fois raillent beaucoup d’élément du punk et du rock tout en questionnant les fondements politiques profonds de la société. Bien évidemment, le combo auto-produira son premier 45-T, ‘Skank bloc Bologna’, imprimera, pliera les pochettes. Il ira plus loin ensuite en détaillant sur ces pochettes les coûts de production d’un disque et les étapes à suivre, rédigeant même une brochure se voulant un guide pour tous les artistes indépendants désireux de sortir leur propre skeud. La suite est plus classique; repérés par John Peel, Scritti Politi sont signés chez Rough Trade chez lesquels ils sortiront deux EPs. Un album est prévu pour 1979 également mais lors d’une première partie pour Gang of Four, Gartside s’effondre. Son mode de vie aléatoire (malnutrition, manque de sommeil, d’hygiène, stimulants mais aussi les exercices systématiques de remise en question des schémas rock aux limites de la folie, le terme étant rebaptisé ‘beat music’ car jugé suspect) couplé à un trac viscéral envoie le le jeune homme au tapis. Il retourne chez ses parents pendant presque un an pour se refaire une santé. Il a donc largement le temps de réfléchir. Il se désintéresse progressivement du DIY, des théories post punk dont il était pourtant l’un des gourous les plus enragés, écoute du funk, les Beatles, et en arrive à la conclusion que faire de la pop n’est pas se vendre, qu’on peut perpétuer les idéaux du punk au sein d’une musique plus accessible. Tu parles, Charles ! Ses condisciples ne le suivront pas mais il persistera et le premier album officiel sonnera comme de la pop bien légère et sans intérêt, même si le succès sera au rendez-vous. Fin de l’histoire en ce qui me concerne. Fort heureusement, demeurent les premiers EPs, largement aptes à désaltérer les sombrex. L’excellent ‘Skank bloc Bologna’ lance le tempo: rythmique dub, guitare froide pas vraiment confortable… La mélodie est bien là mais tout est mis en place pour la restructurer mais pas trop. Qui est plus est Gartisde a une très belle voix qui étonnamment souffle une étrange tristesse douce dans le morceau. Chaque titre sonne comme un manifeste des idées du combo: ‘Messthetics’, ‘Hegemony’, ‘Bibbly-o-tek’, l’instrumental ’28/8/78’ inclut une voix de speaker narrant les émeutes de Notting Hill de 1978… Ces chansons dégagent une drôle de torpeur grise, une forme de pop dub épicée du froid de la cold wave mais dans une direction pop mensongère. Un peu comme si on mettait en place tous les éléments de nature à écrire un hit et qu’on les bridait, émoussait, pour être certain que le résultat ne sonne jamais 100% fluide. Etrange et unique. Cohérent au point que cette collection sonne carrément comme un vrai album, lequel se conclut pourtant par ‘The sweetest girl’, le premier tube inaugurant la seconde vie de Scritti Politi et sa face B. Le ton est plus funk, Robert Wyatt joue du piano mais la boîte à rythmes permet d’opérer une transition pas trop scandaleuse, les deux compositions dénotent sans choquer. La boucle est bouclée.