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Fulu Miziki › Ngbaka EP

lp • 6 titres • 20:28 min

  • 1OK Seke Bien (feat. Seklembele)5:51
  • 2Lohito (feat. DJ Final)2:37
  • 3Bivada (feat. Seklembele)2:49
  • 4Mokili Makambo (feat. Seklembele)3:44
  • 5Toko Yambana (feat. DJ Final, Deboul)2:18
  • 6Beta Ndule (feat. DJ Final, Deboul)3:08

extraits vidéo

informations

Enregistré au studio Into the Web. Mixé par Oyisse.

chronique

Dès les premières secondes, on est emmené ailleurs – vers un monde autre plutôt que dans le « monde d'après ». Souvenez-vous... C'était il y a peu, au vrai : la panique du coronavirus, la pandémie, le (puis les) confinement(s)... Fulu Miziki, collectif originaire de Kinshasa, au Congo, a passé ce temps de repli à Kampala, Ouganda – moins « exilé » que volontairement relocalisé semble-t-il. Plutôt que de se lamenter sur cet enfermement forcé, le groupe a décidé de mettre à profit ce temps d'isolement – studio de répétition disponible à plein temps et aucune « deadline » en vue – pour enregistrer autrement, sortir de ses habitudes, travailler sa musique selon d'autres moyens, d'autres processus.

Cet EP – résultat de ce travail particulier, sorti en 2022, alors que tout avait repris bon gré mal gré son cour, que se produire en public était redevenu possible – délocalise, donc, lui aussi, la musique des Congolais, déjà bien surprenante, saisissante, dans sa forme « habituelle ». On reconnaît ici, certes, les timbres déjà étranges émanés ailleurs par le groupe – ces instruments faits de matériaux de récupération, de bouts de rejets, déchets industriels. Ces voix de plastique et métaux, alliages bon marché rendus bizarrement organiques, comme si les débris de machines, appareils, installations utilitaires, les pièces désassemblées, reconfigurées, se mettaient à chanter, tout et parties. Mais en plus, là, il y a l'électronique – l'électro, indubitablement, une approche, une torsion « club » qui emporte cette musique déjà dansante dans sa forme plus « connue » sur des pistes autrement pulsées, foulées.

Ces six titres, si on tient à les ramener aux classifications familières, relèverait d'une sorte de house, de tech-house au fond assez minimale – séquences synthétiques qui tournent, snare et claps claquants, secs, kick ultra calé, brefs motifs, fragments dissonants d'autres claviers qui viennent titiller d'autres zones cérébrales et physiques. À ceci près qu'on entend très clairement autre chose, qu'on soupçonne tout de suite, même à l'aveugle, que cette musique n'émane pas de Chicago, Detroit, de Berlin... Pour ces scansions des chanteurs, d'abord, bien-sûr – injonctions « d'ambianceurs » lancées (rarement, sur une seule piste) en français ou en parler locale (lingala ? … le nom du groupe en tout cas, est énoncé en cette langue-ci), mais pas seulement. Pour ces rythmes, aussi, qui s'insèrent, se glissent dans le cadre rigide des beats programmés – qui ainsi les change, les « piratent », en quelque sorte, les investissent de leur forme propre de vie, de leur mode de mouvement, d'agitation. Et parlant de voix : il y a par exemple ces harmonies sur OK Seke Bien, dont on se demande si tout ou seulement une partie provient elle aussi de synthétiseurs, de banques numériques, si les gens du collectif ont samplé leurs propres chants avant de les restituer en cette ligne chorale – singulière et à mon sens très belle, lumière qui flotte sur ces rythmes tapés, ancrés, si matériels quelque soit la part, là-dedans, d'impulsions programmées plutôt que de solides directement frappés (tuyaux en PVC, parois de bidons ou peaux de percussions plus conventionnelles).

C'est ce que j'aime, aussi, dans cette musique, dans ce que propose le collectif : des indices, d'accord, nous sont donnés, un discours est articulé. Mais rien ne relève dans ce qu'ils nous disent de leur ouvrage, de la note de bas de page, du plat commentaire socio-culturel. L’élision fait partie, je crois, de l'intention, de ce qu'imprime et amorce, de ce que vient attraper leur son comme leur parole hors-musique, dans nos perceptions, notre compréhension de leur proposition particulière – comme aussi leur apparence physique, ces costumes incroyables assemblés eux aussi avec des chutes, des morceaux d'objets mis au rebut, ces vêtures qui les situent sur leur territoire propre... Sans jamais nous dire ce qui là serait inventé, proclamé, découvert, et ce qui serait continué, transformé depuis l'une ou l'autre forme, adapté d'autres costumes auparavant existants. C'est ce qui fait, peut-être, que Fulu Mikziki puisse jouer devant des milliers de spectateurs, dans des stades (celui de Kinshasa, quelque semaines à peine avant l'heure où je vous l'écris, à l'occasion me semble-t-il de Jeux de la Francophonie) ou des festivals internationaux, sans qu'on puisse les soupçonner de n'être qu'un concept marketing, une attraction pour touristes sonores, un objet de prestige pour ambassade et ministères. Fulu Miziki, en effet – succès ou pas, phénoménal et/ou relatif – raconte une histoire qui ne fait jamais « dépliant », brochure, récit trop parfait, propagande, « story » bêtement publicitaire. La forme de science-fiction qu'élabore le collectif est bien plus intelligente que ça – bien moins superficielle – parce que justement, elle reste ouverte, poreuse, que ses membres lancent et animent des idées (et des objets, donc – musicaux, visuels, parures et lutheries) mais ne dictent pas leurs modes d'emploi. C'est ainsi que leurs fictions, leurs défrichages et tentatives d'atteindre à de nouveaux réels, restent spéculatifs, de l'ordre des possibles et non des taxinomies.

Bon ! Et pour écouter ça, on se retrouve où, alors ? Sur une esplanade en ville – la notre ou la leur, Congo ou Ouganda ? En boîte ? Au cœur d'une autre foule qui croisera leurs voyages ? On verra bien... J'aimerais bien, pour ma part, entendre ça en direct. FFP3 ou pas, ce sera de toute façon là où on « circuler » ne veut pas dire vider la place.

Très bon
      
Publiée le mercredi 2 août 2023

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Ouep, j'avais vu ça pour le nom... Et le rapprochement avec Omar Souleyman - chroniqué dans le coin plus ou moins bientôt, d'ailleurs - m'avait carrément frappé aussi ! Bien plus sur cet EP que sur l'album avec Lady Aïcha, à vrai dire, sans doute pour ce son plus brut d'électronique, carrément techno (alors que sur le long ça se passe encore ailleurs, avec un son pas moins singulier mais différent...).

    Message édité le 03-08-2023 à 10:36 par dioneo

    Note donnée au disque :       
    kama Envoyez un message privé àkama

    "music from the garbage" que ca veut dire leur nom de groupe; rythmes bien entêtants et fiévreux, Mokili Makambo n'a rien a envier à Omar Souleyman...

    Note donnée au disque :