Scott Kelly... C'est pourtant sympathiquement américain comme prénom-nom, ça, "Scott Kelly"... On voit bien un bon gros daron des USA, avec une barbe et une casquette. Un papa qui fait cuire de beaux steaks à la braise, pour ses petits. Qui les emmène au base-ball. C'est un visage sensiblement différent que j'ai vu ce soir-là, à Lyon, de loin, depuis la rue, avant le concert intimiste : ce Scott prostré à la fenêtre, immobile, à l'étage du troquet qui l'accueillait. Presque une ombre. Plus tard il reprenait "Cortez The Killer" avec son petit matos devant la poignée de charognards dont nous étions, venus se repaître de sa folk fauchée-misère, littéralement à deux pas d'un comptoir contre lequel quelques clients étaient occupés à faire comme s'il n'existait pas. Et ça collait bien à l'ambiance, au fil des chansons égrenées par ce gros barbu grisonnant sous sa casquette, exprimant la santé mentale précaire, la douleur étranglée. Avec un regard de maison de correction. Une tronche à qui t'as pas envie de dire "ça va ?" Et une voix... pire. "Scott Kelly"... Que c'est-il passé ? Était-ce avant de fonder ce groupe au nom sans équivoque : Neurosis ? Toujours est-il qu'un jour, Scott s'est dit "je vais enregistrer un album de folk". Juste lui, et sa guitare. Voire sur un morceau : juste lui. Un effet par-ci, un autre par-là, mais guère plus que des ossements. Maximal minimalisme. Folk à l'os. Captée au plus près des cordes et de sa voix de Scott Caillou. Semblant peser une tonne alors qu'elle est faite avec à peu près rien. Purée, que cette musique est grise, atrocement grise et déprimante, dès sa pochette simple mais éloquente, cette lumière au bout de ces pièces vides qu'on a pas envie de traverser. Solitude absolue. Celle de ce gros type patibulaire, acculé au fond de lui-même et qui, cloîtré, prostré, égrène ses espèces de berceuses plus tristes que les pierres. La nuance avec ce que peut faire son coéquipier sur As the Crow Flies, album à la désolation plus "feu de cheminée", c'est qu'on ne sent aucune volonté d'envoûter ici. Aucune. Scott Kelly a surtout la volonté de prendre son temps, patient comme une ruine. Ce qui en fait la moitié semble durer une heure. C'est un peu de la folk-torture, façon supplice de la goutte d'eau. Ou empalement par pousse de bambou dans l'oignon. C'est pour cela que bon nombre trouveront ce disque chiant. Les mélodies n'y sont que des blocs rudimentaires, que Scott Kelly lève péniblement, et pose, l'un après l'autre, jusqu'à former cette espèce de cairn musical, sinistrissime. Au bord du gouffre. On parle souvent de ce silence primordial dans la musique, de ce silence qui est de la musique aussi, voire parfois plus de la musique que les notes, et bien sur Spirit Bound Flesh on le ressent bien ce vieux cliché : à chaque silence vous allez bien le visualiser, le Scott, renfrogné, pas cool du tout, et bien sentir sa suffocation mentale, entre les mots simples qui sortent poussivement de sa carcasse pleine de méfiance et d'angoisse. Rarement vous ne vous serez autant fait chier, mais tout en ayant cette sensation, particulière, d'écouter une des musiques extrêmes les plus dépouillées qui soient. Spirit Bound Flesh est monotone, oui. C'est fait exprès. C'est aussi pour ça qu'il pèse. C'est une musique de drame étouffé, de sanglots contenus dans un sarcophage épais. L'immobilité devant un mur. Une musique à se pendre. Lentement.