Tony Wakeford › Not all of me will die

Non, Tony, effectivement, tu ne mourras pas complètement, tu nous auras laissé une oeuvre musicale si riche et puissante, que ce soit au travers de Sol Invictus, en solo ou dans tes nombreux projets parallèles qui, au travers d’une recherche personnelle, nous fera voyager encore et encore de même que les générations après nous. En se basant sur cette ligne écrite par le poète Horace, notre Anglais construit un travail sur l’oeuvre de la poétesse juive Zuzanna Ginczanka exécutée par le gestapo en 1944 âgée de 27 ans seulement. Disque particulier, presque instrumental mais riche d’évocation à commencer par la première pièce de plus de vingt minutes, un poème à elle-seule. Débutant par de martiaux roulements et quelques accords de guitare sèche, elle se dilue progressivement dans des nappes d’effets qui, telle une brume, s’en viennent couvrir pudiquement cette scène austère. Suit un étrange tableau d’ombres et de fumée dans lequel on croit discerner des accents limite sitar avant que le tout ne s’estompe et qu’une scène nouvelle ne se dévoile baignée de déchirants bois égrenant leur plainte funèbre aux quatre vents avant de céder aux cordes légèrement plus apaisantes. C’est un peu comme si les différents âges d’un enfant durant la guerre se déroulaient sur la scène d’un théâtre de figurines en papier. Telle une voix off divine nappée de réverbération, Tony se met à réciter. Des mots inspirés de la poétesse assassinée. C’est beau, entre menace et espoir, douleur et avenir. Leur écho déformé n’en finit plus de hanter la place avant que des sonorités menaçantes tel un nouveau brouillard sombre ne reviennent progressivement couvrir la scène de leurs grincements, roulements étouffés. Une pièce remarquable de doigté, d’intensité et de suggestion. Un instrumental enchaîne, aux parfums d’aube naissante après une nuit d’orage lorsque la vapeur glacée s’élève des champs humides et boueux. Des nappes douces, champêtres, quelques bruissements, qui ne chassent pourtant pas un sentiment de malaise, incarné dans un violon papillonnant comme intoxiqué et désorienté qui en vient à couvrir l’entier du paysage de ses ailes monstrueuses, tandis que résonnent des claquements proches de coups de feu. ‘Fullness of August’ représente la seconde pièce chantée. Vraiment puisque c’est Guy Harries qui prend le micro. Beau morceau pas complètement tragique mais pas rassurant comme un naufragé chanterait depuis son radeau ballotté par une houle tranquille mais peu sécurisante. Effectivement, la fin voit les crissements électriques prendre le dessus alors que la complainte prend des accents tragiques interprétés en duo. La suite sera instrumentale, marquée par le travail des violonistes (la femme de Tony notamment) avant le titre 5 où dans une ambiance semi-inquiétante, la voix de Susan Matthews récite autour de la phrase ‘Not all of me will die’. La composition finale résume le tout, sombre, en nappes balayantes, froides, ponctuées de bruits cliquetants, sans que ce souffle macabre ne parvienne pourtant à étouffer toute velléité de croire en un futur meilleur. Non, Tony, tu ne mourras pas et grâce à toi et d'autres, Zuzanna Ginczanka pas complètement non plus...