Derrière sa tête de mamie anglaise, secrétaire la semaine et spécialiste des scones et du gazon bien taillé le dimanche, Daphe Oram est non seulement une pionnière de la musique électronique, l’inventrice de l’oramics (un appareil permettant de créer des sonorités en dessinant sur plaques de verre des lignes représentant les diverses qualités sonores: amplitude, hauteur…) mais également une des premières femmes à avoir conçu et possédé un studio de musique électronique. Si elle n’aura pas produit des masses de choses de son vivant (un single, deux ou trois LPs de musique destinée à ‘encourager les enfants à bouger sur des sons’), elle laissera à sa mort un stock importants d’archives. C’est d’ailleurs sous forme de non-musique et d’expérimentations que se présente cette compilation aussi remplie qu’indispensable. Avec presque dix ans d’avance, Daphne Oram défrichait un terrain que des formations telles que Cabaret Voltaire exploreront dès le début des 70’s. Des pièces telles que certains passages de ‘Bird of Parallax’, ‘Tumblewash’ se déclinent comme de mini mélodies avec rythmes (pimenté d’une touche ludique parfois), d’autres pièces sont des expérimentations pures et brutes, des déformations sonores, du travail sur des bruits (véhicules, instruments de jazz, oiseaux, voix, miaulements félins, slogans…); on navigue clairement sur le territoire de la musique concrète avec des atmosphères prenantes (‘Contrasts esconics’) car malgré un caractère défricheur et clairement pas destiné à tout public, il y a quelque chose de beau et fluide dans ces improvisations, ce travail sur l’élaboration des oramics comme une chercheuse en biochimie pratique ses expériences en laboratoire. Entre dark ambient, proto-new wave, proto-industriel, fields recordings, ces pièces s’écoutent avec un véritable intérêt vu leur diversité; on est réellement épaté par la richesse des possibilités sonores développées par Daphne avec l’aide de l’ingénieur Graham Wrench. En vain, ce système d’interprétation de lignes dessinées pour produire de la musique électronique ne connaîtra pas de vraie commercialisation. Nous reste pour le plaisir des oreilles, de l’audace et d’une certaine réhabilitation féminine cette collection impressionnante de travaux (allant de quelques secondes à plus de dix minutes) étonnamment modernes dans leurs sons vu l’époque.