Roc Marciano › Mt. Marci

L'état de santé artistique de Marci en 2020 ? "Covid Cough"... avec des samples de toux. Création, j'écris ton nom. Parfait pour le corona-zeitgeist et le grotesque insolite et un peu inquiétant de cette année, au final, paroles et sons fruits de l'imagination fatiguée du mec qui a moisi trop longtemps dans son studio. "Covid Cough" en titre de morceau c'est peut-être une évolution, un peu comme le passeport vaccinal, va savoir. Et sinon quoi de neuf sous le soleil vert, avec Marci ? Pas grand chose. Peut-être juste un peu moins gangsta, un peu plus abstract. Sinon rien de changé : il est confiné depuis si longtemps sur sillons, dans ces sons si étranges mais si familiers. Coincé dans ses boucles archi-monotones, que beaucoup trouvent aussi chiantes qu'une file d'attente à la boulange à se les geler à-demi déguisé en chirurgien, mais que j'apprécie tant quand elles sont bien faites - un ch'tit bout de piano ou de vieux thème de polar oublié par-ci un ch'tit morcif de soupir faisandé par là, des échos d'onomatopées dans la stéréo, et ça fera la rue Marci. Question de qualia. Marciano est constant : au-dessus de la masse ambiante, mais bien planqué dans le smog. Il est ce gangsta-rappeur autistique, que j'aime retrouver de temps à autre pour constater cet état de stase délicieux. Ses prods sinistro-vaporeuses, organiques mais diffuses, granuleuses, lointaines, qui sentent plus la relique sonore captée sur vieux poste de radio que le logiciel. Mt. Marci est encore un de ces albums à écouter idéalement comme de l'ambient hip-hop, un peu comme on le ferait avec un cLOUDDEAD en fait, même si bien sûr tout ça est différent dans l'esprit des trips Anticon/DefJux de jadis... Marciano rampe au fond de sa formule, vil miasme, son minimal hip-hop de kaïra entre réalisme et abstraction ("Wicked Days", à laquelle aurait pu participer Alan Vega, ou "Garbage Pal Kids" : pas vraiment des morceaux, plutôt des bidules). Gardant dans le congèle des titres de pur Marci "à l'ancienne" (Marcberg/Reloaded), comme la cotonneuse "Wheat 40’s". Rien n'a changé, ouais, même si des mini-nuances se font sentir, dans ce côté encore plus expé-stérilisé, peut-être aussi une influence de Danny Brown ? On pourra juger que ça commence à bien tourner en rond, tout ça, comme ses titres d'album-jeu de mot (ici avec le sommet des Adirondacks). Que les beats castrés de la percu, ça gonfle à la longue... On pourra aussi suivre les effets et souffles sinistres de part et d'autres du casque, et se laisser embarquer dans cette nouvelle virée nocturne sans but précis, sinon égrener des séries de songes onrico-mafiosi, aux fils narratifs disloqués. Passé l'hommage mélodieux à Basquiat "Downtown '81", Rakeem Calief Myer fabrique du cool-jetable, comme d'hab depuis Marci Beaucoup, mais aussi pas mal de tourneries qui s'incrustent sans avoir l'air d'y toucher, au premier rang desquelles la glauquissime "Broadway Billy", prod sur-mesure pour cette vieille canaille de Kool Keith, et (surtout) "Butterfly Effect" : morceau gluant, qui restera dans les hauts du Marciano, au Mont Marci comme c'est commode, avec son bégaiement de saxo et ses échos surnaturels. Un album à la fois sale et aseptisé à l'image de sa pochette rap contemporain, prostré-clinique, comme figé, en somme adapté à cette année-pause au parfum de mise sous vide. Twenty-Twenty, mu'tha'fu'cka.