First Fragment › Dasein

Précédé par plusieurs démos datant de la fin des années 2000, Dasein a été composé entre 2004 et 2010, enregistré entre 2013 et 2015, et finalement publié en 2016. First Fragment s’impose alors sur la scène canadienne du death technique, aux côtés d'Augury et Beyond Creation. Et il mérite son exposition comme l’attente qu’il a suscité. À l’image du fantastique opener de ce disque (« Le serment de Tsion »), sa musique réussit la prouesse d’être à la fois très accrocheuse et d’une grande virtuosité technique. Chaque morceau est une mitraillade guitaristique sur des changements de rythme incessants, avec une basse fretless qui virevolte pour lécher l’oreille dans tous les recoins. Jouissif. Et aussi fédérateur, car il ne lésine pas sur les invitations, avec des guests d'Obscura, Augury, Inferi, qui rivalisent à coup de soli, parfois jusqu’à 15 par titre (sur « Mordêtre »). Dasein est une véritable foire au tâtage de manche, qui pousse la démonstration de technicité au point d’indistinction entre shreds et riffs. Tout cela est très généreux. C’est un peu le problème. La générosité, c’est toujours douteux. Même si la magie virtuose des poulpes qui composent le groupe prend sur la plupart des titres, il flotte sur le disque un paradoxal sentiment d’uniformité et de facilité. C’est trop bien huilé, cette mécanique. Malgré la fantastique débauche de moyens, les morceaux ont tendance à se ressembler et à ressembler aux morceaux de leurs camarades canadiens, à tourner en rond dans les mêmes gimmicks. Les riffs sortent des mêmes moules, des mêmes gammes, et sonnent parfois bêtement « death à influence néoclassique » (influence d’ailleurs soulignée à l’intention des imbéciles sur « prélude en sol dièse mineur »). Tout l’appareil intello de la titraille et des textes est à l’image de ce problème général de vanité : on sort Bach et Haydn du rayon promo CD, Heidegger du rayon philo discount, et on bricole un death augmenté pour époustoufler le tout-venant. En mettant le doigt sur cette boursouflure, je fais le méchant chroniqueur ; hélas il faut bien que quelqu’un se charge du travail du négatif, et il faut bien que j’explique ma note. Mais ceci mis à part, j’aime beaucoup ce disque, ses frivolités « flamenco », ses incartades jazzy, ses riffailles foisonnantes, et ça fait plusieurs mois que je l’écoute sans m’en lasser. First Fragment est un gros malin, mais il a le vice du talent qui se croit suffisant. On ne peut lui dénier son efficacité, sa virtuosité et la puissance de ses meilleurs morceaux (« Émergence », « Gula », « Voracité »). Mais on aimerait parfois qu’il lâche un peu les leads à la Origin, les basslines à la Beyond Creation et les variations de Goldberg pour mettre à contribution son lourd bagage technique dans un voyage en contrée inexplorée. Qu'il ne cantonne pas son talent à un death technique très bien exécuté, qui reste sagement "dans les règles de l'art". Dasein constitue en fin de compte une suite respectable donnée aux efforts primitifs de Necrophagist à la fin des années 1990, qui n’a guère pour s’en distinguer qu’une meilleure production, un sens du groove et un emballage un peu plus reluisant. La version « augmentée », là où on les attendrait révolutionnaires. M’enfin, Phil Tougas, le compositeur en chef, a annoncé que le prochain disque serait différent au point qu'on ne saurait le qualifier de « death metal ». Espérons !