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High Rise › Dispersion

  • 1992 • P.S.F. PSFD-26 • 1 CD

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GrahamBondSwing      mercredi 3 mars 2021 - 17:10
Walter Benjamin      lundi 1 mars 2021 - 17:30
Dioneo      lundi 1 mars 2021 - 17:26

cd • 7 titres • 59:20 min

  • 1Outside Gentiles5:15
  • 2Nuit3:57
  • 3Sadducees Faith15:01
  • 4Sanctuary4:27
  • 5Eucharist7:04
  • 6Mainliner10:26
  • 7Deuteronomy13:07

informations

Enregistré par Kenji Kakasawa et Kazueteru Hama. Mixé par Kauteru Hama. Produit par High Rise.

line up

Asahito Nanjo (basse, chant), Munehiro Narita (guitare), Yuro Ujiie (batterie)

chronique

Quand j'ai lu « dispersion », j'ai pensé tout de suite : « attaque chimique/bactériologique », « tactiques de guérilla » – j'imaginais des troupes faisant mine de s'égailler pour pouvoir attaquer l'ennemi par plusieurs fronts, ensuite ; des histoires de percées, d'éclatement/regroupement des pelotons, des stratégies... Le truc martial, guerrier. Ou encore – la haute tenue, la lourde charge psychédélique, en credo sans cesse remis (à l'épreuve des scènes, des studios, sur le métier...) des ci-présents types : je songeais à ces semi-légendes de conspirateurs post-hippies, agitateurs devenus cinglés (ou chez qui ça c'était révélé à l'usage, à l'exposition publique) dont on dit que dans la vilaine ère post-Woodstock, post-Altamont – pas-post-guerre-du-Vietnam parce que ça s'éternisait, cette mauvaise affaire-là, etc. – ils auraient ourdi de jeter du LSD en masse, des palanquées de buvards dans les citernes d'eau potable, courante, des grandes villes américaines, pour ouvrir par le choc (par effraction, pour ainsi dire) les portes scellées de l'entendement des « straights »... Et puis j'ai lu les titres des morceaux. Et j'ai constaté : que tout ça, à vrai dire, semble bien causer d'autre chose. D'avancer en terrain carrément... Religieux !

« L'Eucharistie », « Le Sanctuaire »... Les « Gentils »... On dirait bien, précisément, que tout ici tourne autour de l'ancien testament, de la foi et de l'exil des Juifs tels que décrits là-dedans. Tout faux, alors, cette histoire d'armées, de cohortes et d'éclaireurs, de franc-tireurs ? Voir ! On cherche les sources, les références... On trouve ça : « Les Sadducéens » – gardiens de l'orthodoxie lors de « l'exil à Babylone », apparemment, d'après le Livre d’Ézéchiel... On recoupe conjectures et bouts d'informations, citations, traductions de textes. S'en dégage le soupçon que tout le concept du disque tourne peut-être bien autour dudit Livre, dudit prophète – Ézéchiel donc, ses « Jugement et Dispersion d'Israël » annonçant, prononçant ladite Fuite... Ça parle de guerre sainte, d'assauts, de raids, là-dedans, le ton est belliqueux. Le verbe veut arracher les symboles directement depuis le corps, les sculpter, tailler dans sa substance les objets de rites prophétiques : « Quant à toi, l’homme, prends une épée tranchante et utilise-la comme rasoir. Rase-toi les cheveux et la barbe, puis pèse ce que tu auras coupé et divise-le en plusieurs parts. Lorsque le temps du siège sera terminé, tu en brûleras un tiers dans un feu allumé au centre de la ville. Tu prendras le second tiers et tu le frapperas avec ton épée tout autour de la ville. Tu disperseras le dernier tiers au vent et moi je le poursuivrai de mon épée ». ; puis les retourner contre la chair où ils avaient poussé, les y imprimer comme des marques, fabriquer dans leurs formes, leur réminiscence, les armes, les outils des massacres proclamés : « Un tiers d’entre vous mourra de la peste ou de la famine à l’intérieur de la ville, un tiers sera tué par l’épée aux alentours ; je disperserai le dernier tiers aux quatre vents et je les poursuivrai de mon épée. Je donnerai libre cours à ma colère, j’irai jusqu’au bout de ma fureur et j’exercerai ma vengeance contre vous. Alors vous serez convaincus que c’est moi, le Seigneur, qui vous ai parlé parce que je ne supporte pas votre infidélité ». Et ainsi de suite, promesses sinistres égrainées, détaillées, des supplices et châtiments, de l'anéantissement des traîtres, des incroyants, des tièdes...

Bon, ne nous emballons pas tout de même : High Rise, avec leurs « armes » purement soniques, ne sont pas partis, là comme ailleurs, pour étêter, empaler, supplicier – littéralement, j'entends – les Mécréants, raser leurs villages, leurs maisons, leurs champs. Leur « guerre sainte » à eux, leur « mission sacrée » ne consistent toujours, essentiellement, qu'à balancer le boucan, pousser les potards, les amplis, les riffs, la jam, au point d'intensité juste avant l'explosion, de tirer le bruit hors des limbes de l'abstraction, en concentrer la substance sonore, l'empiler au plus proche possible d'un état de concrétion où l'on aura la sensation, réelle, qu'elle nous traversera – comme l'Esprit – travaillant nos chairs, se répercutant dans nos os, mue comme par une volonté incarnée (de nous métamorphoser, nous emporter ou nous brûler). Bien sûr, les gars d'High Rise ne sont ces Soldats qu'en musique... Mais en cette matière, je reste persuadé qu'en effet, cette assertion d'une Vraie Foi en les Canons de la Chose Psyché, que le fanatisme affiché sont à prendre au tout premier degrés ! Oui : Narita, Nanjo (et ici Ujiie) sont ces « Mainliners » – puristes, adeptes de la vieille loi, dans le texte autant que possible, du corpus le plus épuré, sans chapitres ou commentaires ajoutés. (Mainliner : titre d'un des morceaux, donc, ici ; nom, aussi, du groupe que formera quelques années plus tard le même Nanjo, avec Makoto Kawabata et le batteur Hajime Kozumi, tous deux d'Acid Mother's Temple – ce dernier « poste » étant là aussi celui, le seul, où défileront les uns, les autres, au fil des années, autour du noyau, des fondateurs).

Alors cette fois encore : la rythmique tourne sans fin, basse lourde émanant comme une fumée noire, dense mais mobile, houle de voile opaque ; batterie qui groove moins qu'elle enfonce et s'enroule/déroule à l'infini (comme les spires menant éternellement l'une à l'autre d'une sorte de « bobinage d'Escher ») ; lourdement elle aussi, particulièrement quand le tempo s'alentit quelque peu ; la voix, ici spécialement sobre – toujours emprise dans cette sorte de « solennité sèche », presque taiseuse, plongée dans un bain de reverb qui ne parvient pas à la dissoudre, parfaitement distante et parfaitement présente... Et la guitare de Narita, bien sûr – très en phase ici avec le propos, son jeu plus consistant encore que sur d'autres – plus varié, aussi, dans cette optique pourtant maniaque. C'est tout le groupe, d'ailleurs, qui semble avoir appris à varier, ici – les vitesses donc, les placements, les longueurs de morceaux, aussi. Ce ne sont plus cette fois une poignée de plages speedées et relativement courtes (pour ce type de jams – le genre où rien, joué par d'autres, ne semblerait indiquer qu'elles doivent commencer ou finir autrement que sur une intuition, un coup de sang ou de lassitude, selon des nécessités invisibles, insensibles de l'extérieur) qui aboutissent à une longue impro plus lente, étirée. Plusieurs morceaux, ici, s'étendent – aucun pour rien. Plusieurs couleurs, lumières, s'étalent ou se précipitent – sur certains passages, la guitare, les riffs, déclinent même de véritables mélodies sans tout de suite les déchirer... Dispersion est encore plus prolixe que les précédents. C'est qu'il prêche, on vous dit – furieusement mais désireux de bien tout dire, aussi. Là encore, on entend tout. Six ans, on le répète, sépare ce disque de celui d'avant ; le temps non d'une marche dans le désert – mais d'investir encore tant et tant de scènes, de se confronter à qui venait écouter. Le son, aussi, s'est infléchi – moins net que sur High Rise II, sans trouver encore le rugueux de certains albums studio d'après, ce grain qui au premier coup d'oreille les rendra parfois difficile à distinguer des enregistrements live, sans que pour autant tout (re)tourne à la bouillie, à l'inaudible.

Dispersion se termine par une sorte de long blues – pour une fois déshabillé, d'abord, de toute saturation – curieusement aéré, avant que le volume ne monte encore, que la wha recommence à tordre espace et temps. Narita, pour une fois, semble – de fait – par moments, errer (taper, aussi – et c'est rare donc d'autant plus audible – à côté de la note, à certains moments). Quatre ans de plus s'écouleront avant qu'ils retournent en studio – années où sortirons des live et diverses démos retrouvées, toute une chronologie de documents et tranches pas toujours faciles à disposer « dans l'ordre » (ni toujours à écouter). Le groupe ne cessera jamais vraiment entre temps de jouer, de tourner. Le batteur, de nouveau, en serait un autre. Il s'agirait toujours de mettre le feu au temple – et que le feu soit le temple, et consomptions/émanations/renaissances en cycles hurlants et répétés, changeants et continués.

note       Publiée le lundi 1 mars 2021

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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C'est marrant... En fait non : c'est logique ! Sur celui-là je me disais justement en le réécoutant tout en écrivant la chronique que justement oui, un côté Hendrix version live se pointait sur celui-là, en effet. Pour le jeu "soliste" nettement, bien-sûr, mais aussi dans certains riffs, une tournure parfois presque blues-rock - un peu lointainement quand-même, en tout cas pris d'un point bien particulier. Je trouve que ça persistera un peu sur les suivants - tout en ramenant pas mal en avant le côté Stooges/Detroit bien lourd, le son renouant avec l'aspect cradingue/live même sur les disques studio, sans pour autant partir dans l'extrême parfois inaudible du Psychedelic Speed Freaks premier. (Pour les recos... Bah pas forcément. Par contre possible que je case un autre disque d'eux dans une playlist - au sens des playlists d'ici en haut à droite avec un d'Hendrix et quelques mots du lien que j'y entends... Du live dans un cas et l'autre, probablement.

Note donnée au disque :       
GrahamBondSwing Envoyez un message privé àGrahamBondSwing

Rarement un guitariste m'aura autant fait penser à Hendrix... Sur cet album entendons-nous bien. Je découvre les albums au fur et à mesure des chros (les précédents étaient en prises directes sur les Stooges). J'ai écouté Sadducees Faith, Mainliner et Deuteronomy... Oh, il y a bien quelques faussetés par-ci par-là, mais il y en avait aussi sur les lives de Jimi, juste la bonne quantité pour donner une couleur sale. Je parle bien sûr du côté le plus sauvage d'Hendrix, celui précurseur du Punk-rock de Détroit, celui des longs solo presque noisy (je pense à cette version hallucinante de Room Full of Mirrors captée à l'Albert Hall).
A ce propos, pas de reco en dessous de la chro ?

Note donnée au disque :