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Pentangle › Cruel Sister

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Membre Note Date
Tallis      mercredi 17 février 2021 - 18:58
Dariev Stands      mercredi 17 février 2021 - 16:13
mroctobre      jeudi 8 décembre 2022 - 22:43
GrahamBondSwing      mercredi 24 février 2021 - 15:11
Coltranophile      jeudi 25 février 2021 - 14:13

lp • 5 titres • 37:35 min

  • 1A Maid That's Deep In Love
  • 2When I Was In My Prime
  • 3Lord Franklin
  • 4Cruel Sister
  • 5Jack Orion

informations

Sound Techniques, Londres, 1970 - Produit par Bill Leader

Tous les titres sont des arrangements d'airs traditionnels issus des îles britanniques (avec parfois des apports d'interprétations américaines très anciennes), issus du domaine public. - Gravure de pochette par Albrecht Dürer

line up

Terry Cox (batterie, triangle, tambourin, dulcitone, choeurs sur la 4), Bert Jansch (guitare acoustique, dulcimer, concertina, chant), Danny Thompson (UK) (contrebasse), Jacqui McShee (chant), John Renbourn (guitares acoustiques et électriques, sitar, flûte, voix)

chronique

  • celtique > danse macabre avec l'amour

Ils allaient y venir, fatalement. Un album d’airs traditionnels (très réarrangés, sauf un), cherché loin dans le richissime et séculaire folklore anglais, et donc forcément, un album plus hivernal, à la tendresse plus rentrée, au mysticisme plus violent et triste. Ce qui n’allait pas de soi, c’est ce que ça serait aussi l’album par lequel les deux gaillards Bert Jansch et John Renbourn introduisirent les instruments électriques dans Pentangle ! Est-ce la froideur inhérente aux amplis, mariée à celle de ces chansons de geste à se couper les veines ? Cruel Sister serait leur recueil le plus ciselé, le plus métrique, le plus élisabéthain. Même si la première chanson me fait mentir, avec sa houle toute en basses et guitare bluesy humide (presque en sourdine) inséparables, sur laquelle vient voguer un bateau de dupes où Jacqui joue les matelots travestis (queer est un vieux vieux mot)… Car le groove léger et capricieux de Basket Of Light, s’il s’est bien assagi ici, n’a pas disparu. Il tangue encore ça et là, il envoie un balancement discret qui met en mouvement tout l’album. Et c’est peut-être ce qui rend envoûtantes ces chansons de souffrance, de tragédie, et surtout, de fatalité morbide, qui rappellent que dans le fouillis des mythes pré-Shakespeare, tout ramène si vite aux tâches de sang sur la neige, à l’impermanence de la vie et à l’éternité du tourment et du remords.

Ceux qui trouvaient la belle Jacqui trop impersonnelle, peut-être trop apprêtée, d’un lyrisme trop « à l’ancienne » sur les deux premiers LP’s, ceux-là ne savent pas quelle extase céleste et fraîche comme une source glacée les attend sur Cruel Sister. Jacqui McShee, belle ? Oui, avec son visage mi-enfantin mi-rustre, un peu d’une beauté interdite et difficile, et c’est tout à fait adéquat pour parler de ce qui rend cet album si indispensable. La pudeur des manières, sous laquelle coule la ferveur, souvent amoureuse, qui finit dans une impasse… Et au moyen-âge, l’impasse de toutes les impasses s’appelle la Mort.

Le mot qui obsède, à l’écoute de ces balades celtiques, à la forme cyclique, c’est : Amertume. When I Was In My Prime, en texte et en chair, est là pour témoigner que la création humaine n’a certainement pas attendu le mouvement goth, le rock, le romantisme ou même l’imprimerie pour évoquer le malheur, la perte, le dépit brûlant et la déchéance noire, abandonnée de toute lumière. Bien sûr, ici, c’est depuis le blanc aveuglant de sa propre vertu que cette jeune fille vient nous bercer de sa litanie a voix nue, qui semble n’avoir d’autre objectif que de nous faire trembler puis défaillir de de pitié (et d’envie, qu’est-ce que vous croyez) devant le sacrifice gratuit que la vie s’offre perpétuellement à elle-même. Mais s’il fallait n’écouter qu’une seule chanson du groupe pour tomber amoureux – oh, pas seulement de la voix tout en médiums et en patiente magie blanche de Jacqui McShee – ça serait l’immense, l’indépassable chanson-titre, qui à elle-seule aurait garanti la note ci-dessous. La forme du poème est antédiluvienne, avec cette ritournelle qui revient sans cesse (l’appeler un leitmotiv serait plaquer une idée moderne sur une incantation plutôt du genre pré-chrétienne), le chant, comme presque toujours avec McShee, ne s’autorise aucune émotion ostentatoire, et reste drapé dans la modestie des vierges tout du long, et seule la mélodie et l’accompagnement (dont la seule fantaisie est le sitar) se chargent de nous entraîner. Le terrain est vallonné, la brume stagne entre deux chênes aussi beiges que la pochette, et quelque part, un serpent savoure le bruit de deux lèvres dévorant une pomme au poison éternel. Au passage, le texte, impitoyable, montre que les troubadours des âges « sombres » de notre histoire n’ont pas attendu Herr Freud pour expliquer aux petits enfants que le refoulé de leur famille leur fera de bonnes crises existentielles pour les longues soirées d’hiver. J’aimerai en dire plus mais tout ce que je dis n’est que fange à côté de cette chanson, laissez tout tomber et écoutez-là avant d’étouffer sous la laideur. Attention, un tel titre peut vous rendre accro, et faire de vous un geek terminal du moyen-âge européen, comme ce bon Keiji Haino.

Après ça, vous êtes fins prêts pour entendre l’édifiante histoire du joueur de fiddle Jack Orion. Il n’est vraiment pas de trop de toute une face pour conter ce vrai thriller de l’an mil, pour lequel le groupe déploie ses plus nobles ambitions instrumentales, rivalisant de complexité limpide. Les guitares s’entretissent savamment comme du chèvrefeuille sur la clôture d’une tombe, la contrebasse circonspecte de Danny Thompson réfléchit ses remugles face au drame qui se joue (et incarne à elle toute seule ce qui serait un mini-orchestre de bois, pré-baroque, dans une cour princière), une autre guitare, électrique, distille ses notes laiteuses, comme interdite, rendue timide par le récit criminel et irréparable que délivre Bert Jansch, ici à son sommet… Sa voix, amère et magnifique, ne cherche pas un seul quart de seconde à incarner ses personnages : il est le narrateur, la voix de la Mémoire, respectueuse et parfois chevrotant dans sa responsabilité de passeur, comme voûté par le poids de son histoire. Pas de spoiler, mais il est question de pleine lune, d’étranges va-et-vient entre deux chaumières isolées, et de rapières qu’on ne voit pas dégainer. Quand le rythme change, c’est un vent de perfidie qui souffle entre les sabots du cheval, et quand on entre dans ce passage instrumental, les rouages du destin semblent tourner dans le ciel, du moins c’est pas moi qui le dit, c’est ce dulcitone (à vue d’oreille une variante du célesta) au timbre innocent menant pudiquement au dénouement qui fit sans doute pleurer, frémir et se tordre les entrailles de générations de têtes rousses au coin de trop maigres tisons.

J’ai l’air de me délecter, mais Cruel Sister est vraiment tout sauf un joli parchemin éthéré où la fantaisie viendrait s’abreuver… C’est un disque sans la moindre enjolivure, qui rappelle que l’individu, invention occidentale, est né dans les contradictions d’une douleur abominable, dans la connaissance sans répit que l’enfer, c’était les autres. Tout comme le Paradis, bien sûr. La liberté n’existe qu’entrevue à travers le portillon rouillé et couvert de lierre du jardin (d’Eden ? du monastère ?)… Ces histoires, ces tournures, ces mélodies, cette façon d’agencer les ritournelles, sont comme corsetées dans le moule rigide mais immémoriel du monde pré-Enlightment, son univers clos, sa défiance envers tout élément étranger, son absolutisme qui manquera tant à l’époque moderne, et au final, sa résignation et son fatalisme. Dur de ne pas s’étendre sur les paroles, qui sont ici lourdes et fécondes de tous les symboles, de toutes les valeurs (l’honneur, la pureté, l’abstinence, choses avec lesquelles on ne pouvait tout simplement pas transiger) qui ont été le seul horizon et le seul cadre conceptuel de la civilisation jusqu’à il y a à peu près 3 secondes… à l’échelle de l’histoire. Tout cela est palpable en écoutant cet album beau comme de vraies larmes apparues sur la joue d’une madone gravée sur un vieux reliquaire.

note       Publiée le mercredi 17 février 2021

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Un petit parfum de Robbie Krieger pour la guitare de Jack Orion, un petit air de Riders On The Storm pour son dulcitone…

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Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

Sur le papier, Pentangle, c'est le combo parfait pour me faire déstocker des boules par paquets de 6. Le casting est imbattable, McShee a la plus belle voix que ce style ait connu (avec June Tabor), Renbourn/Jansch n'ont pas trop besoin d'avocats, etc.....Mais, malheureusement, ce groupe ne m'a jamais fait vibrer plus que ça. Folklorique: avec les limitations que le mot implique. Il y a un drôle de sentiment d'artificialité qui en ressort sans que l'authenticité ne soit mise en doute. Histoire de tendre la joue à des baffes à venir, Pentangle me rappelle le Dead Can Dance que je n'aime que moyennement ou partiellement (celui post Spleen and Ideal). Celui-ci s'en sort plutôt mieux que les autres.

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dimegoat Envoyez un message privé àdimegoat
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Il peut même poser les deux, ce coquin !

GrahamBondSwing Envoyez un message privé àGrahamBondSwing

Je connaissais les trois premiers morceaux, présents sur une compilation que j'avais acquise après la lecture d'une interview de Jimmy Page dans laquelle il avouait poser au moins un genou par terre devant Bert Jansh. Du coup, je ne découvre seulement que maintenant cette perle qu'est "Cruel Sister" (le morceau) et me dit en mon for interieur que les responsables de la sélection des morceaux font parfois des choix très étranges lorsqu'il s'agit de sortir un Best Of, pour un peu je virerai complotiste...

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Tallis Envoyez un message privé àTallis

Chef-d’œuvre sans trop de discussion de mon côté. Leur album le plus cohérent, le plus abouti où la voix de druidesse de Jacqui McShee me transporte à chaque écoute.

Et +1 avec Klari, puisque c'est la fête du folk (merci Dariev !), Steeleye Span sur Guts, ça le ferait bien...

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Shelleyan Envoyez un message privé àShelleyan
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J'ai souvent du mal avec un album complet de Pentangle, pourtant, j'adore écouter des morceaux épars. Une atmosphère vraiment spéciale qu'on peine à imaginer capturée dans un studio plein de technologie...