DJ Sound › Volume 9: Negative Thoughts

Après des volumes 7 et 8 mi-figue mi-raisin mais dans la bonne direction, c'est ici que les choses sérieuses commencent pour DJ Sound, l'un des producteurs les plus sous-estimés de Memphis et le centre névralgique de la Frayser Click, crew hip-hop du nord de Memphis centré autour des Ridgecrest Apartments et méfiante famille d'underdogs.

« Negative Thoughts » est donc le premier volume d'une sombre trilogie officieuse. Les productions de DJ Sound se caractérisent par des beats lourds aux lignes de basse sismiques et un mille-feuilles de samples tirés de films d'horreur obscurs ; le producteur reprend aussi des punchlines de sorties précédentes, pitchées vers le bas pour accroître leur potentiel démoniaque, ce qui en fait l'artiste le plus tributaire de l'influence de DJ Screw au sein de la scène de Memphis. L'ensemble est quasiment gothique dans l'esprit, mais suffisamment boueux et menaçant pour ne jamais sombrer dans le kitsch. A noter que le son est particulièrement crade, ce qui constitue à la fois une faiblesse (la bouncy « I.N.T.R.O. » aurait mérité plus de puissance même si elle n'en est que plus interlope) et une force (la face B, croyez bien que j'y reviendrai). Un peu à l'instar des vieux classiques du black norvégien, scène à laquelle le Memphis rap est parfois comparé.

La face A est à moitié composée de morceaux sans MC, de la puissante et grinçante « DJ Sound Mix » à la cauchemardesque « Frayser Click is Getting Thick ». Au milieu, « Hoes Ain't Just Hoes » et son beat emblématique, et « Real Niggaz » sont de purs terrains de jeux pour MCs, plus que jamais ici masse informe de petites frappes : seule une répétition des écoutes permet de vraiment mettre un nom sur la voix de tout le monde. Une ambiance de soirée boom bap dans une église en ruines qui traîne un peu en longueur, tous les MCs ne brillant pas par leur charisme. Mais le meilleur reste à venir, avec une face B de haute volée, morbide et complètement brumeuse.

Le duo de morceaux « Killed 2 Mothafuckaz » et « Frayser Plate » précipite un peu plus la tape dans le glauque, avec des beats grinçants et neurasthéniques, survolés par les flows détachés et inquiétants de D tha Unknown et Mad Maine. Mais alors quand démarre « Bout Our Hogg »... Un beat épique et vaporeux, véritable exercice de cloud rap avant l'heure et parfait écrin pour le duo de rappeuses Gangsta Gold & MC Money, ici souveraines pleines de charisme dédaigneux telles des déesses de la mort. DJ Sound déploie ensuite des dorures de palais égyptien pour le « Splittin Niggaz Wigs » de Nigga Creep, que les imperfections du mix transforment en vestige antédiluvien à moitié en ruines. Pour finir sur un « Choky Choke » complètement drogué, entre exaltation et bad trip final quand la machine s'écroule sur elle-même, sans parler des paroles... Hanté par LV, alias le spectre de Rick Ross envoyé dans le passé pour le punir de ses forfaitures, et les deux succubes précitées, il clôt parfaitement une tape dense et équilibrée, même si pas exempte de longueurs à cause du trop gros nombre de morceaux sans rap et des deux épopées collectives de la face A, un peu rébarbatives. Mais si Negative Thoughts partage les défauts de ses frères, il est le volume le plus directement satisfaisant de la série de DJ Sound. Une porte d'entrée idoine avant la plongée dans les abysses de Hatred...