Julee Cruise › The Voice of Love

À quelle heure suis-je rentré dans ce disque, déjà ? Je m'étais juste avachi dans le sofa, relax, j'avais mis le volume assez bas, pourtant... Pourquoi suis-je tout engourdi ? Me serais-je encore laissé glisser dans le Lynchland, évanouir dans ces harmonies étirées à l'infini ? Tomber dans ce gouffre d'angélisme, sans pouvoir me relever ? Pourquoi ai-je la sensation d'avoir déjà écrit tout cela ? Entendu cette musique, dans cette vie ou une autre ? La plus tendre mélopée m'avale. Me noie dans ses couleurs qui se fondent, comme les lieux caressés, les dimensions esquissées. Le nectar des instruments s'étale en onguent sur mes pensées. Leurs ondulations brouillant les temporalités... Tandis que cette voix enfantine, si facile, trop facile, m'absorbe encore, sans jamais plus que fredonner. Comme ces images de voyages qui se mélangent dans mes songes, au flux des tapisseries mouvantes de Monsieur Angelo, des touches plus exotiques ici et là, fondues dans son halo. Et Demoiselle Julee... Je la connais si bien, elle ne me piégera pas une seconde fois... Je connais son spleen, sa joliesse... Je l'ai tenue contre moi, pourtant si lointaine... Une autre nuit avec elle, j'avais eu peur. M'étais senti partir à feu doux, flotter dans le néant le plus noir comme cette poupée... Cette fois, je fonds comme la cire d'une bougie. Et mon regard divague dans les plis des nappages, draps, rideaux, dans les doux pastels carnivores. Nous nous sommes retrouvés autour d'elle. Nous, les choses plus ou moins vivantes, qui deviennent de plus en plus floues et puis disparaissent... Nous dansons, nous sourions, claquons des doigts même. Et sa voix écœurante de candeur nous maintient. Et Angelo nous asphyxie. "Fadeur toxique", avait-je pourtant écris dans le calepin imaginaire. Et "Jazzy-Lounge". C'était trop facile... Je devais m'assurer que c'était différent cette fois, qu'il y avait valeur ajoutée. Replonger mes lèvres dans la liqueur... Me noyer dans cette nuque... Avant qu'une sirène angoissante ne résonne au loin, évoquant cette colline silencieuse... Jusqu'à ce que l'angoisse de son Autre Monde ne me serre la gorge. Abandon dans ce moelleux des slows, dans ce confort extrême... Ce confort qui n'a jamais été aussi proche de la sensation de perdre pied, d'être englouti par une crème, un suprême, un élixir de musique féminine... Oui... La Voix de L'Amour restera tapie dans l'ombre de Flottant dans la Nuit. Et j'aurais du mal à dire lequel je préfère, ni pourquoi celui-ci est aussi nécessaire à mes yeux... Il les faut tous les deux. IL FAUT LES DEUX. "Susan, called, Betsy / Betsy, called, Julee / Julee, ran, out, of the house"... Je sifflote, insouciant, évaporé... J'ai encore, malgré ma somnolence, abdiqué aux charmes de l'infinie tiédeur. Le bâillement et l'orgasme se sont confondus... Et le voile de mystère restera entier, comme le lait de ces claviers. Et je resterai coincé dans cette dimension plus molle qu'une montre, paralysé au creux du boudoir. Bouffé tout cru par la lumière tamisée.