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João Gilberto › Chega de Saudade

  • 1959 • Odéon MOFB - 3073 • 1 LP 33 tours

lp vinyle • 12 titres • 22:49 min

  • face a
  • 1Chega De Saudade2:01
  • 2Lobo Bobo1:20
  • 3Brigas, Nunca Mais2:05
  • 4Hó-Bá-Lá-Lá2:15
  • 5Saudade Fêz Um Samba2:01
  • 6Maria Ninguém2:21
  • face b
  • 7Desafinado1:58
  • 8Rosa Morena2:04
  • 9Morena Boca de Ouro1:58
  • 10Bim Bom1:16
  • 11Aos Pés Da Cruz1:34
  • 12É Luxo Só1:56

informations

Enregistré du 10 juillet 1958 au 4 février 1959 aux Estúdios Odeon à Rio de Janeiro, sous la direction de Aloísio de Oliveira.

line up

João Gilberto (guitare, voix), Antônio Carlos Jobim (arrangements, direction artistique), Milton Banana (batterie)

chronique

Une révolution de 20 minutes. Difficile de parler différemment de ce Chega de saudade, aussi légendaire et séminal qu'inusable... En 1958, João Gilberto est déjà dans le paysage musical brésilien depuis plusieurs années. Il a démarré un travail de l'ombre : métamorphoser la musique brésilienne en offrant à sa tendance à la nostalgie, aux regrets, en un mot à la saudade un nouvel écrin, à la fois inspiré du jazz et authentiquement, décisivement local : la bossa nova. Il faut voir à quoi ressemblait la musique brésilienne des années 50 : l'âge d'or du samba est passé, et le public, en tout cas sa frange la plus argentée, est obsédée par le swing venu des Etats-Unis. Les orchestrations big band envahissent tout, en particulier le samba, qui s'en trouve largement dénaturé, et seuls quelques auteurs-interprètes de samba-canção réussissent à surnager, souvent dans un style crooner. Une véritable Frank Sinatrisation de la musique de tout un pays, à laquelle João Gilberto, aidé par le compositeur Antônio Carlos Jobim et le poète et parolier Vinicius de Moraes, allait brutalement mettre fin. On pourrait s'étendre longtemps sur le processus, les innombrables réunions enfumées et alcoolisées de ces artistes à Ipanema ; mais centrons-nous sur Chega de Saudade, dont le morceau-titre et « Bim Bom », une des rares compositions de João Gilberto, ont été un pavé dans la mare lors leur sortie en 1958, en tant que point de départ du style bossa nova. Mettons les points sur les i : la bossa originelle est avant tout une nouvelle façon de jouer le samba plutôt que l'hybride entre musique brésilienne et jazz américain que l'on présente souvent. Bien sûr, elle allait le devenir, et les Etats-Unis, ainsi qu'une partie des artistes brésiliens eux-mêmes, allaient en faire une musique d'ascenseur, uniquement décorative. Mais on en est loin ici : Chega de Saudade, à commencer par son inoubliable, inattaquable morceau-titre, a la subtilité des réalisations des plus grandes sambistes, et n'ayant rien à leur envier en matière de mélancolie qui colle à la peau. Seul le jeu de guitare de João, ce « balanço » qui a déjà été décrit 100x par des gens avec bien plus de connaissances rythmiques que moi, trace finalement une frontière avec le samba des anciens, ainsi qu'un minimalisme, une tendance à l'épure : l'artiste lui-même parlait de « Samba de uma nota só » (Samba d'une seule note, le nom d'une composition de Jobim que João Gilberto allait reprendre sur son LP suivant). Peut-être que son timbre de voix a lui aussi contribué à le détacher du samba : il est aussi pur et chaleureux qu'un instrument à bois, et s'imposa dès lors comme un mètre-étalon pour tous les chanteurs de bossa nova qui allaient suivre.

Chega de Saudade est aussi court que complexe. Le génie du guitariste João Gilberto, autant que le perfectionnisme forcené qui allait donner sa physionomie au reste de sa carrière, lui permettent de multiplier les infimes variations harmoniques. Aucun des morceaux présents sur l'album ne se répète réellement, malgré leur durée très réduite (2 minutes en moyenne), ce qui fait de l'album une petite mosaïque aux détails qui relèvent de l'orfèvrerie, ahurissants de précision. Bien sûr, les premières écoutes ne le révèlent pas, et une oreille non avertie pourrait confondre la musique jouée ici avec la musique de lounge bar qui allait devenir synonyme de bossa nova à partir des années 60. Et Chega de Saudade n'est en cela pas aidé par les arrangements de Jobim, brillants et sûrement à la pointe de la mode en 1958 et 1959, mais pompiers et obsolètes pour une oreille contemporaine (en tout cas la mienne). Mais il n'en est rien, chaque morceau se montrant à sa manière un jalon de la bossa nova naissante, et disposant de saillies proprement jouissives pour qui aura laissé ces 20 minutes s'infuser en lui. Cette courte durée n'empêche nullement une grande variété, due à la diversité des compositeurs que João Gilberto interprète. Le couple artistique Jobim/Vinicius de Moraes est bien entendu fondamental : on leur doit le morceau-titre et les autres futurs standards bossa nova « Brigas, Nunca Mais » et « Desafinado ». Carlos Lyra, figure bossa nova un peu moins célébrée, signe également 3 chansons. Mais Chega de Saudade accorde également une place importante à des compositeurs qui viennent plutôt du sérail samba : Ary Barroso, qui a notamment travaillé avec Carmen Miranda sur ses plus grands hits samba des années 30 (« Morena boca de ouro », « É Luxo Só »), le discret mais légendaire Zé da Zilda (« Aos pés da Cruz »), et le saint-patron de Bahia Dorival Caymmi (« Rosa morena »), qui allait prendre une place plus importante dans les disques suivants. João Gilberto était lui aussi de Bahia, cet Etat nordestin presque synonyme de l'âme métissée du Brésil, et il n'aura de cesse de le rappeler. Enfin, comment ne pas citer les deux compositions de João Gilberto lui-même, « Bim Bom » et « Hó-Bá-Lá-Lá » ? Elles sont si simples qu'elles semblent impossibles à reprendre par qui que ce soit d'autre, et constituent des témoins infaillibles de la place du Père de la bossa que pouvait revendiquer João Gilberto, plus encore que ses deux compères Jobim et Moraes.

L'interprète fonde donc par cet album le style bossa nova ; et il le fait de façon si parfaite qu'il le rend presque immédiatement obsolète. Tous les éléments du style sont déjà présents : sa dimension dansante et joueuse, le balanço déjà cité, qui doit également beaucoup au batteur du disque Milton Banana, en particulier sur des chansons telles qu' « É Luxo Só » et « Saudade fez um samba » ; et sa version élégante, devenue universelle, d'envisager le concept jusqu'ici uniquement lusophone de la saudade : le morceau-titre, évidemment, mais aussi « Desafinado », reprise sur le best-seller Getz/Gilberto mais dont la première version définitive se trouve ici, dans toute son irrésistible concision.

Il serait d'ailleurs une grave erreur de considérer Chega de Saudade comme un brouillon de Getz/Gilberto, la collaboration américano-brésilienne qui allait faire de la bossa nova un genre de musique international et bientôt sans intérêt. C'est que de manière paradoxale, João Gilberto a commencé sa carrière musicale en étant déjà à son apogée ; la suite de sa carrière et de sa vie allaient seulement le voir rejouer les mêmes chansons encore et encore pour qu'enfin elles trouvent grâce à ses yeux d'éternel insatisfait. Pour rendre hommage à son génie, la moindre des choses est d'accorder à chacune des étapes de son processus la même attention, à commencer par cette première livraison, une sorte d'équivalent tropical de Kind of Blue : légendaire mais ne le volant pas une seconde, empreint d'un spleen qui survivra très longtemps à leurs auteurs, et d'une élégance qui ne pourra jamais se démoder.

note       Publiée le mercredi 16 décembre 2020

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    vigilante Envoyez un message privé àvigilante

    Elégance c'est le mot.

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    dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
    avatar

    La base de chez La Base.

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