samedi 16 janvier 2021 | 310 visiteurs (dont 2 membres) connectés en ce moment
Vous êtes ici › Les groupes / artistes › D › Destroy All Monsters › 1974 1976
Niagara, Mike Kelley, Cary Loren, Jim Shaw
Destroy All Monsters, première période… Mike Kelley, l’un des « fondateurs » de la chose avec Niagara – au sens où, de la bande, ce seront les deux premiers à se rencontrer, en école d’art (les deux autres ci-présents, Cary Loren puis Jim Shaw, les rejoindrons très peu de temps après) – raconte assez bien l’histoire, dans les longues notes de pochettes de ce coffret. La frustration de grandir, adolescent puis tout-juste post puis jeune-adulte, dans un entre-deux aux allures de rien, de nulle-part – « trop jeune pour être un hippie, trop vieux pour être un punk », ainsi qu’il le résume. Kelley parle de Kraftawerk et de Devo – de la distance, du kitsch, de la distance au kitsch ; de Tangerine Dream et de Pere Ubu, aussi ; de Roxy Music ; de l’ironie dans « l’art rock » et de la fierté de classe dans le rock tout court de leur région à eux (le Michigan, Detroit, Ann Harbor) ; du mépris de la critique, à l’époque, pour ceux qu’ensuite la presse, l’édition, l’histoire post-pistols porteraient en triomphe (les Stooges, le MC5). Réellement passionnantes, ces notes – et oui, assez « éclairantes » sur ce qu’on entend, au fil des archives gravées là, en soixante-seize index et sur trois disques.
Certes… Mais ce n’est pas ce qui saute aux sens, à se l’envoyer à l’aveugle, une première fois, ce triplé-empilé, sans rien lire d’abord, en ne connaissant rien du groupe, ou alors seulement sa période, son incarnation d’après, où de ceux entendus-là ne restera vite guère plus que Niagara – avec entre autres Ron Asheton des Stooges (et Michael Davis du MC5, on y revient... mais de fait : ces deux versions du groupe n’ont vraiment pas grand-chose en commun, outre la voix). Non : ce qui explose, là, c’est le BRUIT que ça produit ! La liberté avec quoi ces gens explorent, démantibulent, soudent tout ce qui passe, tout ce qui leur prend, les prend, la spontanéité des idées jetées, le curieux aboutissement que ça touche parfois – alors même que le son reste généralement bien brut, captation sur cassettes bon marché, magnéto posé n’importe où dans le local (de répète, de performance – il semble bien à l’oreille que dans leur cas, ce soit la même chose). C’est la JOIE avec quoi ces jeunes gens balancent tout-ça – l’inventivité folle, la pure déconnade et l’extrême attention prêtée à tout ce qui se joue parfaitement mêlées. L’exutoire qui devient tout de suite autre chose – au-delà de ça, ailleurs, qui existe et vit en soi, pour soi. Un heureux bordel qui bouffe de tout, use de tout, collectionne comme on collecte pour construire ensuite avec ce bric-broc. Des films de monstres et du freejazz passé dans l’électronique bricolée. Des reprises/saccages qui pourtant ne doivent pas qu’au sarcasme, ne sentent pas le massacre dédaigneusement délibéré – Nancy Sinatra (Boots) ou Kurt Weill/Berthold Brecht (Mackie Messer – où l’on entend littéralement Niagara qui se retient, puis plus, de se marrer). Niagara qui déjà chante comme fera Kim Gordon de Sonic Youth, dix ans plus tard – ça me frappe toujours, cette similitude de timbre comme de ton parfois, entre les deux (et quelques que soient la version dont on parle de Destroy All Monsters : la comparaison tient, je trouve). Et le groupe qui joue comme tout le monde et personne, avant/après. On en trouvera autant qu’on sera, c’est sûr, des semblables, ancêtres, descendants – Sonic Youth donc, mais non, pas encore ; le Velvet, OK – mais sans Warhol et tout le snobisme petits-fours-et-détestation-carnassière-de-soi-et-de-tous-les-autres de la Factory ; Sun Ra et ses Innombrables Arkestra – versant enfants de prolos blancs-becs mais certainement pas parodique ; les Nihilst Spasm Band, Silver Apples, Godz, Cromagnon, etc. mais encore une fois : tout ça peut s’avaler, s’assimiler avec ou sans la connaissance desdits, de l’histoire, du contexte. Et surtout, à mon sens : sans nier que ce bruit-là pense, aussi, je n’y décèle jamais une once de la pose « fin de l’art », la prétention à détruire l’art où ceux cités et d’autres donneront parfois, accidentellement ou sciemment, abondamment. Kelley, oui, parle de sa aussi, dans ses notes : l’impossibilité où eux s’étaient trouvés, tout le long, à choisir entre l’ironie et l’enthousiasme – la résultante, à l’oreille, étant qu’ils semblent embrasser pleinement les deux attitudes.
Alors c’est riche en matières contrastées, oui, c’est ultra-plein, cette somme – et comme dit plus haut, pauvrement enregistré, pire que garage dans le rendu. Et ça ne nuit pas, ce côté grumeleux, râpeux, lo-fi avant que ça ne devienne un genre, une approche répertoriée – ça rajoute une couche de texture sale, de non-identifiable quant à quel instrument, générateur, pourrait jouer quoi. Ça ne rend pas moins délectable ce tohu-bohu de plages pires-que-brèves et d’impros extensives, ce conglomérat de saxes, guitares en riffs ou purs larsens, lignes ou heurts de basses, chants et récitations, blagues lâchées dans le micro, solos d’aspirateur ; ces titres de fin de murge (Puke Like a Motherfucker…) et de « têtes à beuh » (ambiance abrutie à la Smiley Face de Gregg Araki – mais trente ans plus tôt et parfumée au cambouis collé à la surface, à force dans l’épaisseur des murs) ; S.F. en cases tramées et comptines d’Halloween (proto-goth ?) décalquées à la bibine et sans-doute pas que (Vampire ou Child of the Night) ; tentatives d’attentat aux bonnes mœurs et rien-à-carrer du bon goût (Ma and Dad’s Pussy)… Tout y passe. Et tout, en son, est aussi dingue et dérisoire, aussi poussé dans le non-recevable (sur le point de la technique instrumentale, de la non-production donc, du sérieux littéraire/poétique/théorique par d’autres affiché…) ; tout est brillant, aussi – à cette manière qui leur est propre, de sans-limite et de faire-avec-ce-qu’on-a. On en prend pour trois heures et demie et plus, de ces trois années-là de leurs existences et forfaits perpétrés. On le prend comme on veut – par disque ou d’un coup, par fragments, c’est au choix… J’avoue que ça me va, quand l’idée me pique, de me le descendre d’une traite, le coffret. Au-delà de cette limite, la rédaction/la direction, toutefois, ne saurait être tenue pour responsable etc. (il est dangereux de se pencher mais c’est comme ça que la vue est la plus belle).
note Publiée le lundi 9 novembre 2020
Vous devez être connecté pour ajouter un tag sur "1974 1976".
Note moyenne 2 votes
Vous devez être membre pour ajouter une note sur "1974 1976".
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire sur "1974 1976".
Oui, c'est bien de le répéter/enfoncer le clou : Destroy All Monsters, période expé-foutraque comme là ou versant rock'n roll hi' "high energy" : c'est PAS du "document" !! (Trop vivant pour ça). Et je trouve cette version là du groupe assez unique, encore une fois, malgré toutes les connexions qu'on peut trouver/imaginer avec des trucs d'avant/pendant/après.
Ah bah voilà! C'est quelque chose ce groupe, et pas qu'historiquement!
Oh ben cool... Faut être d'attaque/d'humeur pour le spacemountain assemblé à la main en bois de cagette (échardes incluses) mais ça vaut le coup oui, de s'y (re)plonger, dans ce très abondant coffret.
Parfait, tout est dit et bien dit... ça m'a même donné envie de réécouter la chose... chose que je n'avais pas fait depuis bien bien longtemps... depuis la sortie du coffret ?! Depuis 1994... oh bordel de zut !