Noël Akchoté / Eugene Chadbourne / Marc Ribot › Lust Corner

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mroctobre      samedi 3 octobre 2020 - 22:07
Dioneo      mardi 29 septembre 2020 - 17:45
GrahamBondSwing      vendredi 3 mars 2023 - 09:26
Walter Benjamin      mardi 29 septembre 2020 - 17:45

cd • 12 titres • 47:59 min

  • 1New York4:48
  • 2Street Woman3:23
  • 3Chadology4:21
  • 4Body and Soul2:50
  • 5Extensions2:57
  • 6Free #10:55
  • 7Interlude #22:59
  • 8Cheshire Hôtel3:26
  • 9Peace Warriors5:06
  • 10Broken Shadows4:18
  • 11Pas-Vous?6:40
  • 12Dirt5:38

informations

1, 2 et 5 à 8 enregistrés par Adrian Solothuin le 20 juin 1996 au Falconer Studio, Londres.3, 4 et 8 à 12 enregistrés par Jean-Louis Pégorier le 14 juin 1996 au studio Silke Arp, Hanovre. Mixé, monté et masterisé par Adrian von Ripka les 23 et 24 juillet, aux Bauer Studios, Ludwigsburg.

Photos : Nobuyoshi Araki.

line up

Noël Akchoté (guitare électrique ; canal de gauche sur 1, 2, 5-8 ; canal de droite sur 3, 9-12), Eugene Chadbourne (banjo et guitare sur 3, 9-12 ; canal de gauche ; chant sur 12), Marc Ribot (guitare électrique sur 1, 2, 5-8 ; canal de droite)

chronique

« C’est aride », me disait un camarade (depuis perdu de vue) à qui j’avais prêté ce disque. « Du free mais sans la folie, les débordements »… Je ne l’ai jamais entendu comme ça, moi ! Lust Corner, c’est sûr : « c’est pas la joie ». Ou pas tout de suite. Ou sous le manteau, d’accord, hantée, empêchée, cachée sous autre chose – le Coin de la Luxure, ça fait quartier réservé, interlope, ghetto du sexe en ventes, rues closes… On sait comme là-dedans ça peut sentir, ça peut ne pas « la jouer cool » sous les gestes de racole – pas la marge pour, pas le temps. On sait comme ça tient de l’illusion, de croire que vont en revenir à jamais rassasiés, calmés, apaisés, ceux qui y entrent et sortent. On sait combien, y vivant, hors-tourisme, hors de ce commerce ou hors ces heures, on y perçoit autre chose – il y circule autant de flux, d’affects, il s’y échange, s’y loupe, s’y cuisine, s’y jette, s’y repeint, s’y abandonne, s’y écrit, s’y endort comme partout une masse d'autres choses. Combien d’heures y sonnent – autant qu’ailleurs. Bref… Et métaphores à part ?

Eh bien ce disque de duos – Noël Akchoté à la guitare électrique ; tour à tour Marc Ribot au même instrument, ou Eugene Chadbourne, à l’idem ou au banjo, selon les plages – n’est certes guère hospitalier, de prime abord. Les voix des instruments réparties sur les deux canaux de la stéréo. Une production minimale – sans doute guère plus qu’un peu de compression, pour maintenir les écarts de dynamique dans le spectre audible de l’objet, du support disque. Peu d’effets, en somme, sur les instruments – des distorsions râpeuses, parfois, un peu de réverb sur les sons clairs. Quatre morceaux d’Ornette, repris – pas forcément ses « standards » mais sa veine la plus inquiète, la plus tension/dépression urbaine, la plus « abstraite » si on y tient, peut-être aussi (mais là encore : cette « abstraction » là serait plutôt une question d’absence, d’évidement sur quoi se tend l’espace, le temps des pièces). Une des compositions d’Akchoté que j’aime le plus, entendue là et déclinée ailleurs – Cheshire Hotel et ses progressions de mélodies mélancoliques-élégiaques, distorsions de teintes, remontées de flots trop refoulés… Des photos de ciel, et de flaques, de nus qui sembleraient parfois presque montrer des mortes ; le portrait très simple d’une des jeunes femmes qui posent, ailleurs dans le livret – un florilège de Nobuyoshi Araki. Pas ou peu d’arrangements préalables, j’imagine, à l’oreille, avant que les musiciens entrent en studio – peut-être quelques signes, repères, lignes répétées une ou deux fois ou quoi, allez savoir… Une musique en quelque sorte « minimale », d’accord, malgré les poussées ponctuelles de vélocité – parce que rien d’autre donc que deux musiciens, sur chaque plage, qui jouent en direct, sans volonté d’embellir ensuite, « d’augmenter » ce que la bande en aura conservé. On peut trouver ça rêche, d’accord. Mais…

« Aride » ? Sûrement pas. Au contraire, je lui trouve quelque chose d’intimement secouant, à ce disque. Dans son parti-pris trous d’air et lignes gravées droites au cutter. Dans son évident refus d’un certain « romantisme » – ce qui ne veut pas dire, on se rappellera, qu’il ne passe rien, là-dedans, de « senti », que cette musique nous fixerait d’un œil terne. Simplement ces « Ombres Cassées » (et quelle plage, ce Broken Shadows – une de celle prises à Coleman, tiens, justement) ne peuvent parler que d’une voix cassée. D’une voix modifiée, trouée, pliée par le manque, les angles tors ou trop exacts des perspectives d’ici (New York, s’appelle la première plage… Ornette, déjà). Alors les phrasés sont étranges ; les timbres pleins d’harmoniques malséantes ; on peut d’abord n’y voir qu’anthracites ; on peut tout de suite en distinguer les camaïeux ; les mots sont absents, presque tout le long, parce qu’entre étrangers, ils n’ont qu’un vocabulaire trafiqué, pour s’entendre, démêler, mêler les digressions. Un « argot du bruit », comme dirait l’autre. (Comelade – que je connais en somme assez peu mais dont j’aime ce titre, trouvaille). Un hors-toutes langues réputées correcte et unifiées – en plein dans tous les sabirs fonctionnels et poétiques… Pas versifiés sonnets, jolis, hein – poétiques pour ce qu’ils lient et séparent, accidents et affinités compris (et parfois confondus). Ça grince donc, ça sature, ça s’épure en lignes étirées au-dessus d’un lit « d’aberrations acoustiques » (selon les grammaires mortes et autres instruments de mesure « objectifs »). Ça chante écrasé – ou entre, à travers les écrasements. Ça carillonne comme dans les vieux Sonic Youth – mais aussi parce que là c’était comme dans certains Fred Frith, ou que c’était pris encore avant, ailleurs. Ça ne copie rien – ça sait « qu’inventer » n’est qu’une question de lieu, de moment, de mémoire et de réflexes qui parviennent à se débrayer de leurs propres paralysie, des pesanteurs de leur savoir. On a souvent du mal à dire, même en croyant les connaître un peu ou plus, qui est qui, dans ces duos – et tant mieux. Et tant mieux aussi, si à d’autres moments on a envie de leur crier : « Ah ! C’est toi ! ». Ça finit par « La Saleté » – seul morceau chanté, par Chadbourne, du disque ; qui cause là-dedans du sang des victimes, du caractère photogénique des sites où ont été perpétrés les massacres ; de la fugacité de l’arrêt, le temps de prendre le cliché ; de l’absurdité des raisons, des prétextes avancés… Tout ça sur un machin carrément – mais bizarrement, d’accord, pas carré – eh bien… Country. Après un long prélude – plus long que la chanson elle-même, à vrai dire – en impro apparemment libre, entièrement, en forme de question (Pas Vous? … en fait rien ne dit que les deux morceaux, celui-là et Dirt, soient entendus par les musiciens comme liés, c’est vrai ; mais ils sont joués sans interruption ; et je les ai toujours trouvés ainsi). Un autre, que je côtoyais par circonstances (perdu de vue aussi depuis… décidément) m’avait dit « c’est génial, c’est complètement FAUX ». Vrai… Enfin non. C’est adéquatement vrillé, pour sortir de l’harmonie qui emprisonnerait ça, en ferait un manifeste de plus, un simple discours.

Une étrange fluidité, à la place. Et qui sourd depuis lors, chaque fois que j’avise cette pochette en matière cartonnée, lourde, gaufrée, cette photo sans âge. (Mais pas sans chair, malgré le pudique cadrage – Araki encore, cette fois encore hors des tics qu’on lui prête, souvent…). Une musique qui rejaillit – ou re-déborde – chaque fois que je l’extrait de cette singulière pochette. Pas amène mais spontanée – il me semble. Et travaillée… Mais par tout autre chose que le simple métier, le sens des carrières – seraient-elles celles d’une quelconque dissidence calculée.

note       Publiée le mardi 29 septembre 2020

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Sinon oui, pour les impros qui peuvent faire penser à Fripp, je pense que je vois - même si pour moi, ça me renvoie plus à d'autres guitaristes, tous "entre les genres" (Fred Frith donc, Ribot et pour cause, Derek Bailey avec qui Akchoté a joué aussi, JF Pauvros idem, pourquoi pas Richard Pinhas ce qui nous ramène quelque peu à Fripp, Chadbourne et pour cause bis, Eliott Sharp ou Arto Lindsay etc. ...). C'est aussi une des "qualités" (y compris au sens propre comme dans "le mouillé est une des qualités de l'eau") de cette musique, de nous faire penser, connecter nos mémoires à de trucs, musiciens, musiques, qui vont varier complètement selon qui écoute - sans que pour autant on puisse rétorquer à l'un ou l'une ou l'autre que "mais non, n'importe quoi, ça ressemble plutôt à...". Et sans que ce soit sans "substance personnelle", non-plus, du tout.

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Oui, dans celle de Red Boot, j'en causais, de l'album Kylie... Il va falloir d'ailleurs que je le réécoute, j'étais pas du tout d'humeur à ça dans la période où je l'avais fait, je suis curieux de voir si ça a changé... Ah ! Et sinon, les deux disques que j'ai (pour l'instant) chroniqués sont des "vieilleries" de plus de vingt ans d'âge, mais je signale "en passant" que le mec est loin d'en être resté là... Et qu'il fout une très grosse partie de ce qu'il fait/a fait sur son bandcamp, avec beaucoup de disques téléchargeables à prix libre (tous ? ... j'ai pas vérifié, c'est... très abondant). Y'a vraiment de tout - dont récemment pas mal de musiqu classique/ancienne (médiévale, renaissance, baroque) interprétée au dobro (guitare acoustique à résonateur - comme la national steel sauf que le corps de la gratte est en bois). Je pense que je vais m'y plonger, dans ses trucs plus récents, réécouter ses trucs anciens m'en ont donné envie.

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    GrahamBondSwing Envoyez un message privé àGrahamBondSwing

    Ouais, très bon. Ce que j'aime, c'est la variété proposée dans le disque, on n'est pas uniquement dans le Free Jazz mais il y a d'autres horizons et les 3 lascars s'amusent un peu avec le son de leurs instruments (Ce n'est pas 1983 de Jimi, bien sûr, mais ce n'est pas non plus Mr Guitariste de Jaâhzz qui ne joue que sur des demi-caisses avec les boutons de son ampli gelés depuis 50 ans en mode son clair et zéro reverb "comme ça vous pouvez bien entendre toutes les petites notes que je joue à toute allure"). Certaines impro me font penser à celles de Robert Fripp sur Moonchild, sinon je vois la fin comme un doux retour à la réalité après une après-midi de sieste dans une cabane du bayou, remplie de rêves bizarres et voluptueux... là je suis passé à son album de reprises de Kylie Minogue (évoqué dans cette chronique ou la précédente) et je le trouve formidable (si on aime les textures très intimistes).

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