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Don Cherry › Symphony for Improvisers

  • 1967 • Blue note BLP 4247 • 1 LP 33 tours
  • 1994 • Blue note CDP 7243 8 28976 2 0 • 1 CD

lp/cd • 2 titres • 39:02 min

  • 1Movement 119:43
  • Symphony for Improvisers
  • Nu Creative Love
  • What’s Not Serious
  • Infant Hapiness
  • 2Movement 219:19
  • Manhattan Cry
  • Lunatic
  • Sparkle Plenty
  • Om Nu

informations

Enregistré le 19 septembre 1966 par Rudy Van Gelder au Van Gelder Studio, Englewood Cliffs, New Jersey. Produit par Alfred Lion.

Photo : Francis Wolff. Design : Ron Miles.

line up

Gato Barbieri (saxophone ténor), Karl Berger (vibraphone), Ed Blackwell (batterie), Don Cherry (cornet), Henry Grimes (contrebasse), Jean-François Jenny-Clark (contrebasse), Pharoah Sanders (saxophone ténor, flûte piccolo)

chronique

Celui-là nous balance en pleine fantasmagorie – Java, Bali ; le jazz encore plus qu’avant comme une seule des sources, des courants, des substances mêlés, indiscernable. Plus encore que sur Complete Communion – qui précède dans la discographie la ci-présente « Symphonie » – Don Cherry et son groupe s’éloignent du free jazz « ornettien » (que le trompettiste, j’insiste, n’aura pas seulement joué comme « disciple » – dont il avait été l’un des pourvoyeur, tant cette musique-là était elle aussi une question de groupe, d’ensemble, d’improvisation collective – de « communion », tiens, justement, mais le terme alors affranchi d’une acception trop « transcendante »).

Symphony for Improvisers : là, « l’ensemble » est dans le titre même. Et de fait, rarement on avait pu entendre chez ceux-là une telle « unité dans le tous-azimuts » – pas si souvent, d’ailleurs, n’importe où en jazz ou ailleurs, on pourrait être tenté de dire. Comme dans la Chappaqua Suite d’Ornette Coleman – justement, oui ; mais cette oeuvre parmi celle du saxophoniste m’a toujours semblé à part du reste – il est souvent difficile, ici, au point que ça puisse tenir de l’indécidable, de distinguer ce qui peut être écrit, ce qui peut découler de la création en direct, de l’émulation du jeu, de l’improvisation collective. Ici, de même, comme dans ladite Suite, il est rendu souvent impossible de nommer ce qui tiendrait « purement » d’un jazz « moderne » (ou post-moderne, post bop, déjà post free si on veut) ou de procédés, de méthodes d’écritures relevant d’un certain « classique contemporain » – de déterminer, dans tout ça, la mesure d’une expérimentation qui s’abreuverait, se nourrirait de tout ça, des écoles, qui transposerait à des matières familières ici des procédés trouvés, inventés là… Comme sur d’autres disques de (ou avec) Cherry – ceux de la période parfois dite « orientale » ou « world jazz » (etc.) des années 70 ; ceux d’Old and New Dreams, ensuite, à la fin de la même décennie et au début de la suivante ; entre autres … – on entend bien, donc, des emprunts « esthétiques », d’approches, de vitesses, de consistance, de mécaniques musicales plutôt que de partitions, de pièces relevées ou enregistrées, directement, à des formes non-américaines, non-européennes. Dans le premier mouvement, notamment, plus évidemment que le reste, s’infuse de tons « indonésiens », les déploient en formes qui en garderaient mieux que la mémoire, davantage, mais ne copierait aucun dessin « traditionnel » – le vibraphone de Karl Berger convie des harmoniques, dissonances, assonances d’un gamelan à lui, à eux, à l’œuvre en particulier ; la flûte piccolo de Pharoah Sanders file comme à Sunda, en trajectoires nerveuses et fluides, à la fois exactes et insaisissables. Tout glissera bientôt vers d’autres territoires – moins à priori « extérieurs », plus familiers à qui serait venu « pour du jazz » mais… On aura du mal, l’écoute finie, à dire quand, exactement, à quelle minute le supposé « basculement » aura eu lieu.

C’est l’un des traits, sans doute, le plus remarquable de cette Symphony : ses passages d’une grande densité (deux contrebasses, trois soufflants souvent prolixe…) comme ses relâchements ; l’intrication et les digressions des rythmes, des lignes mélodiques, des voix ; tout ici s’articule sans qu’on puisse marquer, une fois « embarqué » par l’écoute, de frontières, de « distance à » ou de « retour à » telles ou telles matières, qu’on jugerait plus « normale » ou plus « exotique » dans un supposé contexte. Le groupe – avec Blackwell, comme toujours, qui contribue beaucoup à cet aspect, avec son jeu qui balaye comme toujours des supposées origines du jazz aux développements réputés les plus modernes, « intuitifs », libérés, du free (en gros : de Papa Jo Jones et Baby Dodds à Sunny Murray ou Milford Graves ; avec « l’Afrique » comme supposé lien, comme composante héritée, sauvée de l’oubli en part ténue et/ou retrouvée, réapprise…) – ne « passe » jamais d’un « genre « à l’autre, ne progresse pas par « sauts » ostentatoires. La matière, simplement – encore une fois, oui – se meut, glisse certes de contours mélodiques différemment « marqués », où l’on pourra relever des traces prises à tel ou tel continent, pays, région (ou « inventées », donc, depuis là – ces traces elles-mêmes inventées, oui, comme marqueurs délibérés mais enclos dans rien, dans nulle tradition si ce n’est celle de l’histoire de ceux en train de jouer, en train de la continuer dans leur présent même, multiple et cohérent). Elle mute, se transforme – mais jamais on ne sent de « coupure », de changement de décor, comme si des scènes (sur des théâtres diversement proches ou lointains de ce qu’on estimerait relever de nos « habitudes ») nous étaient présentées, comme étapes d’un voyage ramené en notes de journal, réduits en pièces évocatrices, pour nous qui n’aurions pas eu l’heur d’en être, dudit voyage… Cette Symphony for Improvisers, à vrai dire, m’a toujours paru encore plus cohérente, encore plus « aboutie » que Complete Communion – alors même que sa substance peut paraître, à première vue, plus disparate, diverse. Elle m’a toujours semblé plus pleine, plus d’un tenant – justement, PARCE QUE plus franchement encore que l’autre dans un hors-jazz/plein-jazz (et, ou hors free/plein free… pour ce coup les deux ne s’excluent pas) qui ne tient pas d’une quelconque indécision, d’un balbutiement entre les idiomes, mais d’une volonté, complètement achevée et qui reste, au bout, complètement ouverte, pourtant, pas terminée, épuisée, de se constituer en terre inconnue, pas émergée pour autant ex-nihilo, peuplée de souvenirs, d’échos, de savoirs, habitée par ceux qui s’y tiennent mais pas grevée par leurs ascendances, leur lignées ; eux conscients de celles-là mais pas empêchés par des dettes, des limites à quoi elles devraient les cantonner.

Rien n’est volé, ici, quoi qu’on pense y reconnaître. C’est bien par là, sans doute, que rien n’y sonne « rapporté ».

note       Publiée le lundi 21 septembre 2020

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gregdu62 Envoyez un message privé àgregdu62

J'aime beaucoup le précédent opus chroniqué ici, mais sur cet album je n'accroche pas sur la 1ère partie même après quelques écoutes.

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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(Merci...). Bon, là ça ne part pas encore aussi "loin" - dans la forme et l'instrumentation censément "hors-jazz", que sur celui que cites et ceux des années 70 mais... N'empêche oui, c'est dans les environs de celui-là, je dirais, que commence cette "ouverture". (Donc... Et même sans le donc, bah bonne écoute alors !)

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Copacab Envoyez un message privé àCopacab
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Etant dingue de son Eternal Rhythm, je vais rapidement me pencher sur celui-ci... Belle chro !

Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

"Complete Communion" joue, en effet, avec des séquences plus thématiques, même si parfaitement fondues avec les parties improvisées. Cela semble, le "fondu", avoir été son obsession, je suis absolument d'accord. Et celui-ci est inséparable d'un devenir constant du langage musical. Même ce qu'il y a de plus "free" ne prend jamais un positionnement de rupture. Le cri, le soupir ou le chuchotement font pleinement partie du déploiement de l'idiome.

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Oui... Par "plus cohérent", ici, j'entends surtout que les "styles" justement, sont encore moins "distincts selon les passages" hein, question de fluidité du débit, d'apparence du truc "d'une traite" plutôt que de "modules" qui verseraient l'un dans l'autre avec des mutations plus audibles, plus délimitables (comme ça fait, à mon oreille, dans Complete Communion)... Pas une question d'équilibre moindre dans Complete Communion qu'ici ou quoi, donc. Simplement... Un autre mode de "métamorphose" oui, très justement - et en effet tout le "parcours", tout ce que je connais de la disco de Don Cherry me donne cette impression là, que ça se métamorphose, que ça se transforme tout le temps sans errer du tout, sans que ça "altère" la substance. (Bon, quand il joue chez Lou Reed par exemple ou un peu moins bizarrement chez Steve Hillage c'est autre chose, je ne dis pas, ça ne sonne pour le coup pas toujours "cohérent" mais... Dans sa musique à lui, celle qu'il initie, celle de "ses" groupes, je n'ai jamais ou alors très rarement cette impression d'un "placage de styles"... En tout cas certainement pas ici, ni sur Complete Communion donc).

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