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Borgne › Règne des Morts

cd • 7 titres • 78:14 min

  • 1Void Miasma8:21
  • 2Αιώνιοι Φόβοι12:08
  • 3When Swans Are Choking12:10
  • 4Everything Is a Fallacy11:05
  • 5Abysmal Existence10:51
  • 6Fears8:13
  • 7L’Odeur de la Mort15:26

informations

Enregistré et mixé par Bornyhake au Chaos Studio. Masterisé par Rapahël Bovey.

Artwork : Vlada Hladovka. Photos : Bornyhake, Milla Askeladd et Morbid Domi. Layout : Nonam. Cet album forme une trilogie avec les deux avec les deux précédents, Entraves de l’Âme (2010) et Royaume des Ombres (2012). Les trois disques sont réunis, avec 22 minutes de musiques inédites, dans le coffret 5LP Borgne Box Set Trilogy sorti par Those Opposed Records en 2018 (TOR066).

line up

Bornyhake (voix, électronique, claviers, guitare, basse, piano)

Musiciens additionnels : Naser Ardelean (guitare sur 6), Lady Kaos (claviers sur 3, 4, 6), Quaoar (basse sur 2, 5, 6), Hex Inferi (basse sur 5), Spellgoth (voix sur 5), Nahël (guitare sur 6), Raphaël Bovey (samples additionnels)

chronique

Aboutissement logique de la trilogie : après l’égarement sans retour à la lisère, la chute dans le piège (Entraves de l’Âme), l’arrivée au cimetière (Royaume des Ombres)… Nous voici cette fois aux enfers. Règne des Morts. Cette fois – passée la pourriture, sous les lichens ou sous la pierre – tout est fini. Là-haut : ils ne veulent pas qu’on remonte…

Une fois dissipée la brume ambient de l’intro tout apparaît nettement, pourtant – noir et gris, mais découpé. La vibration violente – on est sous terre, donc, proche de l’épicentre – mais comme figée, pétrifiée. Un black metal aux cassures abrasives mais précises, textures de charbons, cendres, suies, humus – qui semble s’effondrer, blocs effrités qui s’abattent. Bornyhake n’a pas perdu ce sens de la mélodie épique, qu’il bruite – qu’il rend ici plus sourde, lui et ses invités les drapant de voiles de chœurs presque imperceptibles, flottant comme des fumées minces, de synthés qui dilatent l’espace, l’imprègnent, infiltrent les matières sèches, l’architecture « gothique flamboyant » (mais comme gelée) des compositions. Monde post-mortem, donc – après l’acte. Miasmes, d’abord, puis, les sens s’éteignant, se refermant : l’esprit seul qui subit pendant que le corps se dégrade. Les « peurs éternelles » qui refluent (c’est le sens du deuxième titre, ici donné en grec). La beauté, orgueilleuse, qui crève pauvrement (« quand les cygnes suffoquent »…). La fausseté, l’erreur d’une, des vies passées, qui suintent des murs du caveau, enrobent les castels où s’acheminent les défunts drapés de la pochette. Plus rien – mais pour toujours, sans fin. L’instant dernier de l’agonie s’étend – et dans ce rien, rien n’est, rien ne sera plus jamais tranquille.

Cette fois encore, Borgne parvient à nous transmettre son agitation fataliste, ce sens de la majesté renversée, vidée, en creux, de l’épique retourné contre l’espoir, du triomphe négatif, charge inversée. Comme toujours la substance apparaît d’abord brute et lourde, épaisse – et le reste alors que le fourmillement se fait jour, qu’on le perçoit, se replongeant dans la coulée, dans la brèche, le gouffre qu’il semble vouloir ouvrir. (Lui, Bornyhake, Borgne, le disque, cette musique…). Comme il n’arrive pas si souvent, « dans le registre ou pas », dans ou hors les genres… Règne des Morts émane cette impression, cette atmosphère de cauchemar les yeux trop grands ouverts – qui paralyse et happe, avale celui qui le recueille, en est traversé, qui l’immerge. Une sorte de fantastique/pragmatique – tous les détails, encore une fois, bien trop matériels et précis (ces espèces de stridences pulsées qui hantent, tourmentent When Swans Are Chocking…) pour qu’on le secoue d’un simple « ce n’est qu’un rêve ». Bornyhake et ceux qui passent, ici (Lady Kaos, encore, aux claviers – bientôt membre « officiel » du projet, si je ne me trompe…) multiplient les motifs sous la pâte crasse-et-nuit. Court passage acoustique et harmonisations tordues, travail de timbres qui fait dissoner les lignes simples, claviers ou voix, accès de grondement death dégueulasse (Everything Is Fallacy)… Aux sens – qu’on avait dit morts – Borgne réinjecte vicieusement, à mesure, la perception, glisse des signes que seule la fonction motrice, vitale, est en fait brisée, arrachée. Que petit à petit, les senteurs de la putréfaction, la reptation gluante des vermines, la souffrance lancinante et de plus en plus forte des blessures en train de se corrompre, vont revenir, s’amplifier, pénétrer… Après la fin, l’Existence dans l’Abime. Simulacre – mais plus vrai peut-être, finalement, que la farce d’avant, puisqu’on y a mis fin et qu’à la pièce en cour, on ne voit pas, on ne connaît pas de terme. Ou alors…

Ou alors c’est encore, ça aussi, un mensonge. A quoi il faut s’arracher. Un bardo de plus en terre froide, en Nord Extrême des mondes. Et l’éveil reviendra – symétrique ? … Eh bien curieusement, les titres semblent se répondre, toujours, en ouverture et fermeture du disque. Les accès de terreur, donc, sa puissance épuisante, jamais défaite : Αιώνιοι Φόβοι/Fear, en deuxième et pénultième plages. Les fumets, encore, des cadavres autour… Void Miasma et… L’Odeur de la Mort. Littéralement – et cette fois, la première ; dans la langue de celui qui la clame, la crie, l’exsude et la vomit autant qu’il semble l’exalter. Ça fait un disque d’abord « trop » plein. C’est ça, aussi, qui y ramène. Fait qu’on y entre encore, prévenu mais pas immunisé, dans ces éboulis de rythmes à la dureté indus, ces remous de black symphonique mais rugueux, ces trouées, passages de paysages sonores désolés qui aspirent d’une spire de chaos à l’autre.

Borgne finit sa trilogie – et passera encore ailleurs, bientôt. Imperceptiblement, toujours, pour qui n’y voudra entendre qu’une « patte » et non une vision singulière à l’œuvre – sous les maquillages connus, les images et oripeaux (de genre, encore, corpsepaints et autres habillages). Les « suites » désormais connues, on peut en saisir, peut-être, dès ici, des indices (cette mélodie presque… new wave, à la fin de Fear !). Mais… J’y reviendrai. Pour l’instant, la pierre retombe. Là-haut, sur l’ouverture par où entrait le halo de la lune – ou celui des gaz verts, façon follets, façon saint-helme… On ouvrira les yeux dans une autre nuit, peut-être – possiblement complète, plus matte. Ou le souvenir restera – comme une zone opaque. Bornyhake hurle – en français donc, la voix déformée, saturée, mais audible, articulée. Je l’avoue : vous l’écrivant, j’écoute plus constamment, en pleine conscience tendue, ce précis de lutte sans espoir et d’automutilation… Que j’y adhère ou non, c’est finalement égal – le fait est qu’elle taille sans faute, cette voix, et tout ce qu’elle draine et qui la draine, une émergence pleine, à travers l’étouffant silence.

note       Publiée le samedi 6 juin 2020

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