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Jean-Louis Murat › Taormina
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informations
Enregistré à Studio Davout et Studio Scarlett par Aymeric Létoquart.
line up
Jean-Louis Murat (chant, guitare, piano, Fender Rhodes, percussions, choeurs, basse 3, 5)), Fred Jimenez (basse), Stéphane Reynaud (batterie), Christophe Pie (batterie, percussions 3, 5), Laure (choeurs)
chronique
Retrouver de la rugosité. Oublier les excès d’arrangements de l’album précédent. Se recentrer sur l’essentiel, sur le noyau. Ça fait maintenant quelques années que Murat a trouvé son Crazy Horse personnel, la paire rythmique Jimenez/Reynaud. Il a beaucoup écrit, beaucoup composé, beaucoup joué. Peut-être un peu trop. Il est venu le temps de l’exhaustion, celui d’en finir, de conclure. « Taormina » est un album âpre. Peu aimable. Comme la terre volcanique, de la Sicile comme de l’Auvergne. Taormina est un théâtre antique mais ici, pas de masque. Murat s’y retrouve après s’être parfois un peu égaré. Ce n’est pas sa première destination rêvée, avant ça, le royaume du Mustang tibétain fut une autre scène. La référence n’est pas anodine car en creusant les scories de ce « Taormina », il se révèle comme le plus proche du sommet de l’oeuvre muratienne. Rien de moins. Mais le parcours est piégeux, comme un de ces cols qui ne se dévoile qu’après des heures de marche en montagne, de derrière les cimes. Il y a d’abord le début du sentier, qui débute avec le meilleur single de Murat depuis « Jim », justement, un « Caillou » back to the basics, guitare/basse/batterie et un brenoï à l’humeur particulièrement sombre, sa voix semble rester constamment dans les basses malgré un leitmotiv qui se veut rassurant en guise de refrain. Bien oubliées les tentatives de racolage pop de la première moitié de décennie, c’est du single de rock carré et rugueux. Puis vient ce « Chemin des poneys » beaucoup plus contrasté avec ces choeurs fragiles et ce ton inquiet caressé d’un Fender Rhodes ténu. Chemin, routes, sentes, Murat déplie une topographie où rode la mort et l’abandon, tout en hors-champ, en creux. Jean-Louis a le blues et le joue façon laid-back parce qu’il n’est pas de bon goût d’en faire des histoires, à Taormina il sait lui donner sa suavité bien à lui. Rien d’impressionnant, non, il faut savoir prêter l’oreille pour saisir tous les détails, aussi abandonner ses préjugés devant des textes et des thèmes qui semblent parfois avoir été rabâchés. Mais le miracle qui advient, c’est que le chant retrouvé de Murat donne même aux mots les plus entendus une beauté virginale, « L’heure du berger » renouant avec ses éternelles histoires d’amour de montagne trouve dans cette simplicité une élévation jusqu’au sublime de la fin, véritable élégie tragique et triviale. Plus il va, mieux il chante, même une boule dans la gorge. Moins états d’âme qu’états de fait, « Est-ce bien l’amour » renvoie à ce salaud de lien défait, avec un laconisme empli de maturité, « on dit je t’aime mais voilà… »; même triste constat la tournerie lancinante de « Maudit » où les couplets sont balancés d’un seul trait pour dire un monde bien gris. Et quand Murat en vient à rire de lui-même, c’est d’un rire jaune, un peu grimaçant. Pas de quoi rire, en somme. Alors réduire encore plus les arrangements, les instruments, une bien étrange « Raie Manta » sur un tapis de pinceaux frottés et de textures de guitares qui dissonent, sorte de chanson-ambient qui tranche à peine dans cette atmosphère de blues-rock déprimé. Drôle de traversée aux charmes et à la profondeur cachées derrière les voiles d’une trop apparente évidence. Et puis voilà que se dévoile la fin de l’album, grandiose. Enfin non, pas grandiose justement, toujours pas. Grande, simplement. Le folk crépusculaire de « Démariés », et revoilà ce putain de lien défait, ici poétisé façon troubadour au touché d’une délicatesse absolue, avec l’écho de la voix de la compagne Laure. L’enchainement avec la rythmique implacable du morceau suivant donne des frissons, voilà la fin du parcours comme il le chantait plus de dix ans avant, la voilà cette topographie de la mort, où chaque évocation est la dernière. Murat la chante sans désespoir, juste avec une douceur grave et désenchantée, « Accueille-moi paysage » ainsi trouve sa place sur la carte des très grandes chansons de l’auvergnat, parfaite en presque conclusion de cet album à la langueur terminale. Presque, car il reste encore, bercé par les bruits de ressac et des oiseaux marins comme à la fin d’un film de Kitano, une dernière échappée au piano, comme déjà jouée d’un autre monde, comme une comptine finale, comme une dernière gorgée douce-amère. À Taormina, Murat s’est bien retrouvé, chez lui.
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- SEN › Envoyez un message privé àSEN
Je rattrape mon retard et je me pose sur l'écoute de cet album qui parait difficile d'accès au premier abord mais ça reste du Murat pur jus... Après quelques écoutes je l'ai vite adopté, et Murat reste parmi les auteurs français que j'écoute le plus régulièrement ! Un super disque une fois de plus !
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- (N°6) › Envoyez un message privé à(N°6)
Oui, j'avais vu la reprise de Belin, très belle pour un morceau sans doute assez méconnu mais digne de Mustango. C'est beau de voir le respect qu'on certain de la génération suivante, et pas les pire, pour l'Auvergnat. Taormina est ce qu'on appellerai vulgairement un "grower", je le trouve finalement assez difficile et comme j'ai dit, peu aimable.
- SEN › Envoyez un message privé àSEN
Je dois avouer que je connais mal cet album moi qui suit pourtant un grand Fan de Murat... Cette chronique appel à réparer cet oubli ! Et pour les amateurs de JLM, cette reprise de "La Tige d'Or" par Bertrand Belin : https://www.youtube.com/watch?v=J0509jWujCg
- Note donnée au disque :
- (N°6) › Envoyez un message privé à(N°6)
Je l'ai longtemps considéré comme un album mineur de Murat, il m'aura fallu du temps pour vraiment le goûter à sa juste valeur (le milieu de l'album en particulier, qui fait comme un creux alors que les trois premiers morceaux et les trois derniers sont des pics indiscutables). Faut dire aussi qu'il arrivait à la fin d'une période de saturation. C'est bien la fin de la période entamée avec Le Moujik en fait, sur une sorte de note assez sombre.
- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Tiens tiens... Rugueux, crépusculaire, tragique : va falloir que je lui donne sa chance à celui-là. Parce que je dois dire que lors de sa promo, "Caillou" m'avait fortement rebuté (je l'avais trouvée gauche et moche. Autant que le titre de l'album est beau).