Fates Warning › Disconnected

Le gémissement agonisant de la dernière guitare électrique survivante, dans l'écho glacial d'un monde qui disparaît. Une ultime galoche sans enlever son masque à gaz, en guise de pochette... Bienvenue dans le prog-metal dystopique de l'an 2000. Celui de Fates Warning, ce groupe au nom poétiquement paradoxal, encore mésestimé ou méconnu, dont Sheer-Khan a entamé la discographie il y a fort longtemps dans ces pages... J'ai toujours eu bien plus de sympathie pour Fates Warning que pour Dream Theater. Moins de masturbation mégalomane, plus d'ambiance. Et une froideur technique commune qui n'a chez F.W. jamais dominé l'émotion, essentielle. Le bouquet mélodique enivrant aux parfums candides (comme chez King's X ou un Marillion), ne cache pas l'arrière-goût profondément fataliste de leur musique. Disconnected, tapi dans l'ombre de leur grand-œuvre A Pleasant Shade of Gray, est un de leurs grands albums. Un des plus mélancoliques et en même temps l'un des plus froids. Je l'ai découvert - et le groupe du même coup - à sa sortie avec la splendide "One", sur un sampler Hard'n'Heavy ou Hard Rock Mag (la même année un de ces deux magazines tentait de me refourguer le groupe Spock's Beard, mais fiasco). Pour le décrire grossièrement, je situerais cet album de prog-metal mélo-SF quelque part entre Iron Maiden et Tool. Les relents naïfs de power-metal péroxydé, reliques des années 80, y sont plongés dans un bain d'azote de sons "metal alternatif" typiquement années 90, parfois enduit d'une couche de vieux claviers "kozmische musik". Et le mélange a du retour. Fates Warning conçoit - encore - un hybride entre passé heavy-metal et futur "cyberprog". Quelques passages frôlent l'insipide - le chant de Ray Adler, à la fois affecté et hermétique, ne sera pas du goût de tout le monde - mais sur la majorité Fates Warning s'impose en titan subtil du prog-metal. Les plans de l'architecte alien Jim Matheos s'enchaînent de façon hyperfluide, régalade de tempi qui se fracturent comme du liquide solide (???), entrecoupés d'interludes ambient aux relents post-apocalyptiques. Une succession de moments forts, appuyés par le robuste Zonder, rythmiques impaires sous contrôle scientifique, lyrisme confiné dans une armature d'acier, avec en pinacle "Still Remains", entre progmocheté épique et fulgurance heavy. L'influence toolienne, difficile a nier, a pu faire rager des puristes mais elle est manifeste sur plusieurs passages, presque autant que celle de La Vierge de Fer. Fates Warning ont bien été, comme d'autres vétérans des années hair-metal, marqués par ces Pink Floyd des années 90 - autant que par le grunge (comment le nier à l'écoute de "So" ?). Et cela ajoute une belle teinte chromée-occulte à leur sens du tragique, comme fondu dans la nuit d'un futur glacé ("Something From Nothing"). Fates Warning sont ressortis de cette riche décennie avec un son modifié, plus tranchant, plus froid, nimbé de mystère, un prog-metal laissant place à la suggestion... Disconnected se referme comme il s'est ouvert, dans la plainte déchirée de cette guitare au son ultra-métallique. La lueur d'un piano et les synthétiseurs à la JMJ nous rassurent, tandis que les vents atomiques balaient la poussière des ruines, et le dernier souffle d'espoir.