Roc Marciano › Rosebudd's Revenge

Roc Marciano est momifié dans son style, retro-gangsta sous benzo, mi-classe miteux. Enfin lui il se trouve supra-classieux, évidemment, mais en vrai c'est un gabarit de rongeur du mafioso game, bloqué sur le motif vintage, la vieille étoffe. Une feignasse qui dépense l'essentiel de ses calories en palpant fiévreusement le tissu de sa dernière écharpe en cachemire, mais qui pointe inlassablement, quitte à sortir de la démo en trois-pièces comme ici. Que des sorties confidentielles tout au long des années 2010, un succès d'estime, mais cet enfoiré insiste dans la pénombre avec son gangsta relique, la tête dans les nuages et la bite dans le gramophone. Un mec qui à l'heure des prods post-planantes sous MDMA qui se soucient juste de leur swag sur "Insta", semble voué à la partie grise de l'inter-net, comme cette pochette. Rosebudd's Revenge, c'est du Marciano dans son versant bof-bof babiole, du Marci que je qualifierais de "chiambiancé". Que ce timbre aigrelet et ce flow nonchalant soient ceux d'un authentique maquereau ou pas importe peu (même si l'intro avec Fillmore Slim fait la part des choses de façon laconique, comme une estampille "street-cred" cynique), les meilleurs rappeurs sont des mythomanes qui entretiennent le fantasme : Mobb Deep nous faisaient croire qu'ils avaient déjà tué ou du moins autopsié, le Wu-Tang qu'ils maîtrisaient les subtilités du tai-chi. L'important s'est d'y croire sans s'en apercevoir, comme dirait Pascal Obistro. Et Marci, à défaut de nous faire un album mémorable, nous fait croire que son hip-hop a été enregistré bien avant sa naissance, avant celle de ses parents, voire grand-parents, il nous fait croire que le gangsta rap c'est une musique d'avant-guerre. C'est mieux que rien. Rosebudd's Revenge a un feeling Prohibition pas piqué des hannetons, ouais... Certains samples sont comme des bibelots poussiéreux sortis du fond du grenier ("Gunsens", "Pimp Arrest"). Mais impuissants. Mort-nés. Toujours plus laid back et morose, toujours désespérément castré du beat, Marci rôde, rat dans son grenier. Il saupoudre sa maigre sauce de squames de samples décrépits, alignés comme les briques de Hell's Kitchen. Désuet ? Marci s'en bat les reins, il est en connexion avec la mémoire des murs, son costume qui hésite entre bonnet et borsalino. Il évoque Ourson Welles, et colle d'ailleurs tout au long de son skeud le fameux murmure énigmatique sans autre forme de procès (..."j'appelle ça du vol et du plagiat"...) mais en fait c'est d'abord en référence à une obscure autobiographie de pimp, limite un manuel. On est céans plutôt dans un polar oublié que dans un chef d'œuvre à étudier, un petit polar du style qui n'a pas très bien survécu aux avancées technologiques du cinéma... Anachronique et glandouillou, voire relou, mais avec des flashs du passé qui claquent, de-ci de-là. Ce hip-hop jette des visions de vieille Traction Avant, de kiosque à journaux, de costards troués, de corps laissés aux fossés. Un jazz bar où les porte-cigarettes des putes se mêlent aux becs de sulfateuses qui resteront muettes. Du hip-hop à écouter comme on se matte un film noir mineur, mais avec une p'tite gueule d'atmosphère, pas dégueu, avec ses passages chiants ("Better Know", "Killing Time", "Herringbone") et ses grandes scènes hélas plus rares (la sublime "Move Dope", ou "Burkina Faso"), mais surtout ces moments en creux, où tout est feutré (comme le feat. habituel avec l'ami Ka, aux vapeurs mélancoliques informes), paisible et vaguement nauséeux, avant une possible effusion de sang. Dommage qu'on se sente un peu trop dans une salle d'attente, et que les règlements de compte se fassent à coup de chéquier.