Danny Brown › uknowhatimsayin¿

Uknowhatimsayin? a été enregistré par un Danny Brown dans les rangs apparents de la normalité, cheveux ras, look limite Denzel, compte en banque et dents du bonheur comblés. Et statut de nouveau rappeur préféré des intellos, qui en soulignent systématiquement le statut de musicien-comique (l'humour étant comme le dit l'adage "la politesse du désespoir", et les humoristes étant souvent les pires névrosés...) Danny est désormais dans l'institution de son style, et opte pour le feutré qui lui permet d'instiller son truc rien qu'à lui. Flow qui n'a rien perdu de cartoonesque mais en plus relax, suite rectiligne mais nuancée à la façon d'un ruban chromatique, et album à la brièveté bienvenue, qui sonne comme une tendre génoise après le défiguré à l'acide Atrocity Exhibition (bien que "Shine" en semble directement issue). Uknowhatimsayin? fout beaucoup moins le bourdon, mais je ne peux m'empêcher de continuer à y ressentir ce truc qui cloche. Malgré l'apparente légèreté de tout ça, y a des ambiances qui pèsent, ouais... Le rap canardo de Danny boy nous approche dans une sorte de western trip-hop paranormal, séduisant d'emblée. Il est fluide. Il est caressant et rampant, à la manière d'un scolopendre en mocassins sorti de sous l'édredon, qui vous grimperait malignement la nuque jusqu'à l'oreille pour aller faire un tour en zig-zag dans vos songes. On glisse dans une petite berceuse d'une extrême douceur, ambiance de dojo fantôme ou de pique-nique onirique, constellée de chuchotis, chatouillant le tympan avec un pistil de violon à la saveur Wu-Tang... Wu, oui, c'est à eux qu'on pense ici, par intermittence, entre le cartoon et la party-track. Juste dans un habit de rappeur-créature des années 2010, qui laisse les sons venir à lui, agglomérés sans logique apparente mais cohérents, mini-mondes sonores défilant en pages internet foisonnantes de bizarrerie familière, comme un effet "perdu sur Youtube". Plus que jamais gourmand de raps somnambules, Danny veut-il nous foutre sous hypnose ? Son album se révèle même subtilement psychédélique, rien que dans ses sons qui semblent parfois émis hors du système d'écoute (les beats latéraux du morceau titre), sortir d'autres appareils électriques, voire de nos souvenirs. "Belly of the Beast" est des plus retorses, soufflant comme des ombres d'esprits à travers les baffles... Le travail sur les sons est souvent un pur truc de manipulateur vicieux, ici. Q-Tip a chapeauté, les différents alchimistes sous son égide ont tissé des trames... autres. Passées mais du futur. Grenier poussiéreux, ou station balnéaire lunaire ? On s'y sent bien et on s'y perd. Uknowhatimsayin? ne m'a pas chaviré mais j'y reviens sans cesse, et le qualifierais - à l'exception du titre tout claudiquant avec Run the Jewels - de confortable. Un Danny Brown qui passe pour mineur comparé à Atrocity Exhibition, mais qui me semble aussi bon même s'il n'en a pas les sommets. Il faut l'aborder comme un album de rap plus classique pour saisir la pure singularité qui le noyaute, feelgood-badtrip... Son meilleur album je ne sais pas, mais le plus intriguant, sans doute - et pas le moins troublant. Danny Brown n'est pas guéri de l'anormalité, c'est certain, et cette pochette à la Devo lui va bien au teint.